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ses caresses et promène ingénument ses mains roses sur la figure brune et énergique de son adorateur. Ces effets de l’amour divin sur des âmes viriles ont plus d’une fois tenté Murillo, soit que, comme dans le célèbre tableau de la cathédrale de Séville, il ait représenté de nouveau l’Enfant Jésus apparaissant à saint Antoine, soit que, dans une œuvre plus touchante encore, il nous montre le Christ, qui, ayant détaché de la croix un de ses bras, s’incline vers saint François pour l’attirer à lui. Les moines de Zurbaran ne connaissent point ces familiarités aimables. Leur piété est âpre et farouche ; elle juge condamnables, elle proscrit comme trop humaines ces libres expansions d’un cœur qui ose s’abandonner sans réserve. C’est dans de telles inspirations, au contraire, que triomphe le talent de Murillo. Mais quand il a voulu faire de ses vierges des créatures idéales, il n’a réussi qu’à peindre des jeunes filles mondaines, un peu coquettes, d’une suavité douceâtre et sans grand caractère. Il est tout à fait original et supérieur lorsque, prenant autour de lui ses modèles, il nous montre les mâles visages de ses compatriotes transfigurés par les extases de la foi.

En regard de la pénurie des écoles de France et d’Espagne, celles d’Italie présentent au musée de Berlin un intérêt tout particulier, et la collection des Quattrocentisti qu’on y a réunie est, après celle de Florence, la plus complète qui existe. Mais quand, avec ces vaillans ouvriers de la première heure, on a suivi le chemin qui conduit aux sommets, il ne faut point s’attendre à y rencontrer les maîtres en qui se résument les plus hautes aspirations de la peinture. Ici les sommets sont déserts et les grands noms font à peu près défaut. Raphaël, au musée de Berlin, ne figure que par des ouvrages de sa jeunesse ; Michel-Ange, Léonard et Véronèse manquent absolument, et Titien comme Corrège sont à peine représentés. En leur absence, profitons du moins des enseignemens que nous pouvons rencontrer sur notre route.

C’est de la fin du XIIIe siècle qu’on a l’habitude de dater l’époque de la renaissance des arts en Italie. A ce moment, chez nous, l’architecture et la sculpture avaient déjà produit des chefs-d’œuvre. L’une et l’autre d’ailleurs devaient aussi de l’autre côté des Alpes devancer, et de beaucoup, le développement de la peinture. Cet ordre de succession, qui apparaît d’une manière à peu près constante dans l’histoire, s’explique mieux encore pour l’Italie qui, malgré tant de dévastations et de ruines, avait conservé bien des monuments et des statues de l’antiquité. La peinture n’avait point le bénéfice de pareils exemples. Ce n’était point de renaissance qu’il s’agissait pour elle, car elle avait tout à inventer ; il lui fallait naître et les anciens ne lui avaient point tracé la voie. Les mosaïques de Rome et de Ravenne et les miniatures des artistes grecs ne