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constituaient, en effet, que des antécédents bien modestes et dans lesquels on peut tout aussi bien voir le dernier souffle d’un art épuisé que le premier éveil d’un art nouveau qui s’essaie à la vie. L’état d’infériorité où était restée la peinture permet seul d’expliquer l’enthousiasme avec lequel fut accueillie la Madone de Cimabuë. Pour qu’on pût voir là une révélation et un progrès, il fallait en vérité que l’abaissement fût bien complet. Et cependant en dehors de Florence, et même avant elle dans d’autres villes, à Pise, à Sienne et jusqu’à Vérone, bien des tentatives s’étaient produites pour lesquelles chacune de ces villes, en réclamant l’honneur d’avoir la première donné le signal, trouve à invoquer des noms et des dates à l’appui de ses prétentions. Mais comme M. Delaborde l’a remarqué ici même[1] et avec raison, ces tentatives que l’histoire et l’archéologie doivent enregistrer ne comptent guère au point de vue de l’art. Pour être soutenues, ces sortes de réhabilitations demanderaient des œuvres, et l’école florentine, la première, est en mesure de nous en montrer. Le nom de Giotto, qui lui appartient, marque réellement un progrès décisif et une révolution. Cette fois, c’est bien un art nouveau qui apparaît avec un programme et des œuvres, et qui, de Naples à Padoue, dans les sanctuaires les plus en vue, marque sa vitalité. À cette aurore éclatante succède presque aussitôt une période d’obscurité ; à peine née, on dirait déjà que la peinture touche à son déclin. Comme nous l’avons vu en Flandre pour les Van Eyck, il faut, après l’apparition de génies de cette taille, du temps et de longs efforts pour que leurs conquêtes soient assurées, pour que ceux qui les suivent comprennent, en la parcourant eux-mêmes, l’étendue de la carrière qu’ils ont fournie.

Ge n’est que plus d’un siècle après Giotto que nous retrouvons dans Angelico de Fiésole un artiste original. Deux précieux petits tableaux nous révèlent une fois de plus, avec ses mérites habituels, la bonté de son cœur aimant, tout plein d’une piété aussi sincère qu’élevée. Dans l’un d’eux, saint Dominique et saint François d’Assise se rencontrant à la porte d’un couvent se serrent tendrement la main. L’expression d’une mutuelle affection se voit sur leurs visages, et au ciel, la Vierge intercédant pour le monde que le Christ allait châtier, désarme son fils en lui montrant les deux saints unis pour travailler au triomphe de la foi. Dans le choix de cette légende empruntée à la vie de saint Dominique, on sent le vœu d’une âme pure, émue de la rivalité entre deux ordres puissans qui troublait alors profondément l’Église. Le même sentiment a aussi inspiré

  1. La Peinture en Italie d’après de nouveaux documens, par M. Delaborde. Voyez la Revue du 15 septembre 1866.