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Il n’est pas étonnant si elle désirait la paix ; sous prétexte de la complimenter sur la victoire de Dreux, Philippe II avait dépêché en France un envoyé extraordinaire pour s’opposer par tous les moyens à un accommodement avec les protestans ; les ambassadeurs de la reine Elisabeth devenaient hardis jusqu’à l’insolence ; enfin il était venu à Blois un représentant de l’empereur, qui avait réclamé, au nom des nobles de l’empire, la restitution de Metz, de Toul et de Verdun.

Catherine attendait impatiemment la nouvelle de la prise d’Orléans : « Quant demayn nous auryon Orléans, je say byen que pour chasser les aystranger y nous fault la pays que je désire, mès nous l’aurions bien à milleur condision tenant la ville. » Deux jours après, elle écrivait au cardinal de Guise : « Mon cousin, tout à ceste heure je viens d’être avertye, comme hier au soir environ six heures, retournant mon cousin le duc de Guise vostre frère des tranchées et ayant desjà repassé la petite rivière de Loyret pour se retirer en son logeis, à cent pas de là, luy estant seullement accompaigné du sieur de Rostaing, ung paillard estant derrière une haie, bien monté, luy donna un coup de pistolle au haut de l’espaulle du cousté droit, qui a passé tout à travers. » Veut-on connaître le plus profond du cœur de la reine ? Il faut sans doute le chercher dans sa correspondance de famille. Voici ce qu’elle écrivait (25 février 1563) à Marguerite de France, duchesse de Savoie, pour lui annoncer la mort du duc de Guise devant Orléans : « S’est heun méchant qui l’y a donné un coup de pistolet par daryère, et il an net mort en sinc jours ; et ayant parlé à se malheureus qui feut preins, y m’a dist, san qu’il est aysté menasé, que l’amiral luy a donné sant ayceu pour fayre cet méchant coup et qu’i n’y volet pas venir, mais que Bèze et heun autre prédicant et Despina (un autre ministre) l’ont prêché et l’y sont aseuré que, si le fayset, qu’il yret au paradis. » Catherine ajoute que l’amiral aurait dépêché soixante hommes pour tuer le duc de Guise, le duc de Montpensier, Sipierre, de gouverneur de Charles IX, Sansac, elle-même enfin. Elle croit ou elle feint de croire la vie de ses enfans menacée : « Velà, madame, come cet homme de byen, qui dist qu’i ne fest ryen que pour la relygion, y nous veult dépécher. » Néanmoins elle se déclare disposée à faire une paix, car « je voy byen que, durant sesy, y me teuret à la fin mes enfans et nous destiteuré de tous le jean de byen, car, y fault dire la vérité, nous avons fayst heune grande perte en set homme, car s’etezt le plus grand capitayne qui souyt en se royaume. » Voilà le cri de la nature ; on sent éclater ici la haine profonde de l’amiral, haine qui devait un jour être si cruellement satisfaite ; on y voit aussi l’admiration sincère pour le duc de Guise, qui se montre d’autant plus pleine qu’on ne redoute plus sa puissance.