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temps en temps, afin « d’épater les bourgeois, » il est bon de faire usage de mots rares ; ainsi, dans un portrait de femme, il pourrait y avoir congruité à introduire une phrase dans le genre de celle-ci : « Sa taroupe soyeuse et ses sourcils murzuphlisés augmentaient la fulguration de son regard. » Le galbe des phrases doit être net et la couleur doit en être truculente ; quant à ce que les phrases expriment, il serait patibulaire de s’en préoccuper. Avoir des idées en poésie, c’est prendre un vase d’or pour y faire cuire des citrouilles. Il faut être païen et n’adorer que la forme. — Et l’on citait avec admiration le cardinal Bembo, qui faisait lire son bréviaire par son camérier pour ne pas gâter sa latinité.

Ces paradoxes, qui avaient la valeur d’un lieu-commun, semblaient des articles de foi : hérétique qui ne s’y soumet ; j’étais hérétique et depuis longtemps j’avais renoncé à ce genre de discussion dont je connaissais la stérilité. Il n’y a pas de doctrine en art, il n’y a que des tempéramens ; j’admire la beauté partout où je la rencontre et je sais que les systèmes sont la résultante des défauts et des qualités de celui qui les promulgue. J’écoutais, le plus souvent en silence, et je battais des mains, lorsque Gautier, s’échauffant, disait : « Mes vers sont des cavaliers d’or qui galopent sur un pont d’airain. » Flaubert disait à Gautier : « Que penses-tu de Molière ? » Gautier répondait : « Comme tapissier, il avait peut-être quelque mérite ; mais comme poète, ce Poquelin est un pleutre que nous aurions sifflé s’il s’était produit en 1830. » Flaubert regimbait et disait : « Je te trouve sévère, il a fait de belles choses. » Gautier prenait un air tragique en répliquant : « Que l’on ne me parle point de ce compagnon ; il a fait des cacophonies d’images qui méritent la corde. O Flaubert ! comment, toi, qui passes pour avoir quelque orthographe, peux-tu supporter la turpitude que voici :

Et par un doux hymen, couronner en Valère
La flamme d’un amant généreux et sincère ?


Alors tu admets que l’on peut couronner une flamme ? » Flaubert convenait que Molière avait des torts, mais il se hâtait d’ajouter : « Il y a dans le Malade imaginaire une phrase admirable, une phrase de génie qui en fait un écrivain de vaste envergure ; il a écrit : « Ce sont des Egyptiens vêtus en Maures qui font des danses mêlées de chansons. » — Ça, c’est un diamant. » Lorsqu’il était question de Racine, on n’épargnait pas les invectives ; selon la disposition de son esprit, Flaubert éclatait de rire ou de fureur, en répétant :

De ton horrible aspect purge tous mes états.