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influence dans une chambre détruite ou ajournée par l’intempérance de ses débuts. M. Dufaure avait horreur de la légèreté d’esprit qui prend la facilité pour l’éloquence : « Il y a beaucoup de mes collègues, écrivait-il, qui se contentent de savoir à demi, au quart, au dixième, au centième, une chose et puis qui ont la merveilleuse faculté d’en parler autant que l’on voudrait. Moi je ne sais pas faire cela et je suis d’ordinaire à même de traiter un sujet le lendemain du jour où le débat qui l’a occasionné est fini. » Dans cet état d’esprit, il était certain que M. Dufaure ne ferait pas une entrée bruyante sur la scène politique ; une conviction profonde et le sentiment d’un devoir pouvaient seuls le déterminer à parler. Il arrivait de Bordeaux convaincu que le commerce, en facilitant les débouchés, était la meilleure protection de l’agriculture. Pendant la discussion de l’adresse, il entendit soutenir les intérêts agricoles au détriment des intérêts commerciaux. Il se leva pour la première fois et répondit en des termes si brefs et si nets que nul ne songea à répliquer. Point de phrases générales ; il semble se les interdire. S’il parle du mode d’interprétation des lois par le pouvoir législatif, des capitaines au long cours, de la nécessité de réduire le contentieux administratif au profit de l’autorité judiciaire, de la faillite ou des caisses d’épargne, c’est toujours à propos d’un article de loi, d’un point précis, d’un amendement limité, sa parole a le ton qui convient à un rapporteur. Lorsqu’il n’en porte pas le titre, il semble s’en être donné la mission, on sent qu’il a étudié à fond les procédés et la pratique du parlement anglais et, à l’entendre, on se croit transporté dans ces séances de comité où les debaters se forment aux grandes luttes en discutant pied à pied le texte des lois.

Soutenu par la sympathie de la chambre, M. Dufaure aborda de plus vastes sujets. Une loi sur la responsabilité des ministres avait été présentée par le gouvernement ; il en examina à la tribune toutes les parties en cherchant, grâce à elle, les moyens de faire pénétrer dans les esprits les maximes du droit constitutionnel. Il tenait surtout à substituer à l’article 75 de la constitution de l’an VIII un système de garanties qui protégeât les fonctionnaires publics sans compromettre les droits des citoyens. Pour la première fois, ce débat mit en présence M. Thiers et M. Dufaure. Au ministre de l’intérieur attaché aux prérogatives gouvernementales avait répondu le député de Saintes, voué au culte du droit et disposé à traiter toutes les affaires d’état en jurisconsulte. M. Thiers avait qualifié de préjugés les opinions soutenues sous la restauration contre l’article 75. M. Dufaure releva le mot. Il soutint que cette doctrine avait été adoptée et professée par les esprits les plus réfléchis et que rien ne permettait de l’abdiquer à la légère. Devait-on changer d’opinion parce que les membres du conseil d’état présentaient toute espèce de