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garanties ? « Est-ce que la composition de ce corps, disait-il, est permanente ? Le conseil d’état mérite aujourd’hui notre confiance, mais pouvons-nous dire qu’il en sera de même dans dix, dans vingt ans ? » Ses défiances étaient si vives qu’il les exprimait malgré l’opinion contraire de son ami, M. Vivien, montrant pour la première fois à la chambre cette pleine indépendance dans la vie parlementaire qui mit tôt jours sa conduite et sa parole au service non d’un parti, mais de ses convictions librement adoptées et vaillamment défendues.

Il y avait un an que M. Dufaure était à la chambre, et son influence n’avait cessé de grandir. Sa compétence, rapidement admise dans les questions d’affaires, avait été reconnue dans le droit et la pratique parlementaires. Il crut le moment venu de faire un pas de plus et de marquer clairement ses convictions politiques. Les lois présentées à la suite de l’attentat Fieschi et destinées à armer plus fortement le pouvoir l’avaient moins blessé que le langage des orateurs qui les défendaient. « On se plaint tous les jours, dit-il, j’entends des esprits fort graves se plaindre de ce que notre pays actuel est sans convictions et sans croyances ; c’est là le désordre moral dont on le dit affligé. Eh bien ! veuillez vous le rappeler : pendant les quinze années de la restauration, en face des fautes immenses que le pouvoir commettait, il s’était élevé une génération d’hommes honnêtes et éclairés qui répandirent dans la société les principes les plus purs, les plus sacrés de la morale et de la politique. Ces principes étaient proclamés partout, ici à la tribune par des orateurs puissans et par des professeurs distingués du haut de leurs chaires. Ces principes se répandaient par toute la France ; ils se popularisèrent, ils ont fait notre éducation. Le bonheur de la révolution de juillet a été de se faire sous leur influence ; c’est par là qu’elle a été grande, modérée, généreuse. Elle a eu la sagesse d’en faire passer quelques-uns dans nos lois ; ils se sont fortifiés, ils ont reçu dans l’opinion une nouvelle consécration. Permettez-moi d’en prendre un exemple dans la loi même qui fait le sujet de cette discussion. Les doctrines d’humanité qu’elle a adoptées étaient depuis longtemps populaires. Eh bien ! quatre ans après, les voilà comme tant d’autres qui sont contestées, attaquées, flétries et sans motif. Je le demande, où désormais le pays doit-il chercher ses convictions ? Il en avait qui étaient toutes faites ; c’était son symbole politique, c’était sa croyance. Quel courage mettrez-vous à la détruire ? Que leur donnerez-vous à la place[1] ? »

Il n’était pas seul à ressentir une profonde tristesse. M. Royer-Collard avait inspiré jusque-là un certain groupe soucieux de

  1. Discours du 17 août 1835.