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concilier l’autorité et la liberté. La discussion des lois de septembre vit se séparer des doctrinaires celui qui, sous la restauration, avait porté si haut le drapeau du centre gauche. En tenant ce langage, M. Dufaure avait à cœur de s’appuyer sur un nom qui était respecté de tous les partis et d’invoquer l’opinion d’un homme dont depuis vingt ans il admirait le caractère et partageait si complètement les opinions. En quinze mois, M. Dufaure avait marqué sa place et indiqué clairement la voie dans laquelle il entendait marcher et poursuivre librement une politique qui ne relevait de personne.

Il ne se faisait l’allié d’aucun des ministres tombés ni futurs, continuait à étudier passionnément les questions en elles-mêmes et, bien qu’il eût repris sa robe pendant les vacances parlementaires, il trouvait entre ses causes le temps d’examiner à Bordeaux les projets de lois que M. Vivien et lui s’étaient partagés. De retour à Paris, il prit part à plusieurs discussions. Il se montra vif sur les questions, jamais sur les personnes. En relisant l’un de ses discours en faveur de la conversion des rentes, nul ne se douterait que le sort du ministère fût attaché au vote. Et cependant lorsqu’une majorité de deux voix détermina, le 5 février 1836, le duc de Broglie à se démettre, la parole si ferme du député de Saintes n’avait pas été étrangère à la chute.

L’avènement de M. Thiers imposa à M. Dufaure des obligations nouvelles. Le rôle trop facile d’une opposition sans réserve était passé. Le devoir commandait de soutenir le cabinet, de multiplier autour de lui des appuis dans la chambre.

M. Dufaure n’hésita pas à lui apporter son concours. La session finie, le ministère résolut de donner satisfaction aux libéraux et de fortifier le conseil d’état en y faisant entrer celui d’entre eux dont la capacité était le plus reconnue. L’hésitation de M. Dufaure fut grande ; il avait une profonde répugnance pour tout ce qui semblait porter atteinte à son indépendance. Mais outre qu’en ce temps, les députés pouvaient faire partie du conseil d’état, ces fonctions étaient toutes politiques ; il s’agissait de s’initier aux matières administratives, de préparer les questions de législation ; c’était un moyen d’étude incomparable. Cette considération le détermina. Le jour où l’ordonnance parut (juin 1836), le nouveau conseiller d’état put se rendre le témoignage qu’il ne lui en avait pas coûté une demande, pas même l’expression d’un désir. C’est à M. Thiers que revenait tout l’honneur de l’initiative. D’ailleurs le passage de M. Dufaure au conseil d’état fut de courte durée. Le mandat qu’il avait reçu des ministres, il tint à honneur d’y renoncer le jour où ses amis quittèrent les affaires. Il lui plaisait de ne pas s’attarder dans les fonctions publiques et de se retrouver assis comme simple député sur les bancs de la chambre à l’ouverture de la session de 1837.