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plus trouvait-il que la part faite à la chambre des députés dans la composition du ministère était insuffisante et qu’il en résultait un défaut de confiance entre les ministres et les députés. C’est ce grief, habilement exploité par les meneurs de la coalition, qui détermina M. Dufaure à lui prêter son concours. Il prit plusieurs fois la parole dans cette mémorable lutte, mais sans prononcer une parole irritante : « Je n’agissais pas alors, eut-il occasion de dire plus tard sans recevoir un démenti, je n’agissais pas alors par une hostilité personnelle ; aucun des membres du cabinet n’a pu voir en moi un ennemi, il a vu toujours un adversaire parlementaire, cédant à ses convictions, montant à la tribune pour ce qu’il croyait l’intérêt du pays, ne l’oubliant jamais et redoutant avant tout de blesser les hommes lorsqu’il n’aspirait qu’à défendre les principes[1]. »


II

Lorsque la coalition eut triomphé, les difficultés commencèrent. C’est le périlleux attrait des oppositions de rencontrer des alliances trop faciles ; l’honneur du pouvoir, au contraire, et sa supériorité sont de ne pas tolérer les compromis équivoques, de dissiper les obscurités et de rendre à chacun sa place. Dès les premiers pourparlers, M. Barrot et M. Guizot devaient mutuellement s’exclure. Entre eux, à cette époque, tout était différent. Au premier moment, le roi regarda, non sans une malicieuse ironie, les embarras des vainqueurs ; mais, en se prolongeant, la crise déconsidérait le gouvernement. Lorsque la pensée vint de former un ministère sans les trois chefs de la coalition, M. Passy, alors président de la chambre, reçut la mission de composer le cabinet et s’empressa de faire appel à M. Dufaure. Il n’entre pas dans notre plan de raconter ici les efforts successifs des hommes politiques, les longues négociations, les susceptibilités, les ruptures qui fatiguèrent pendant cinquante jours les spectateurs les plus patiens.

Les hommes politiques avaient été impuissans à trouver une solution. Ce fut l’émeute qui la précipita. En pleine paix et en plein jour, au milieu de Paris, des forcenés s’étaient jetés sur les postes, avaient désarmé les sentinelles et tenté de soulever une insurrection. Cet acte de criminelle folie fut réduit à l’impuissance par l’accord des troupes et de la garde nationale. Le soir de l’émeute, pairs de France et députés se pressaient dans les salons des Tuileries ; une telle audace luisait sentir le prix d’un gouvernement capable de résister à toutes les surprises. Le maréchal Soult eut l’idée de

  1. Discours du 15 janvier 1840.