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profiter de ce sentiment pour former dans la soirée un ministère. Il la fit agréer au roi, et à mesure qu’arrivait un des personnages qui devaient entrer dans la combinaison, il était appelé : dans un pareil moment, personne ne refusa. La soirée s’avançait. On avait hâte de terminer la formation du cabinet avant l’heure où s’imprimait le Moniteur. Un officier d’ordonnance du roi reçut l’ordre d’aller chercher M. Dufaure, qu’il dut réveiller. « Il fut un peu plus long que les autres à se décider, dit un témoin oculaire, mais la gravité des circonstances triompha de ses doutes[1]. » Sans dédaigner les satisfactions que donne le pouvoir à une âme éprise du bien, il répugnait aux ambitions vulgaires. « Ce n’est pas un ministère que j’ai accepté, disait-il à son ami Vivien, c’est un fusil dont je me suis armé pour aider au salut du pays en faisant face à l’émeute. » Du reste, le cabinet où il entrait répondait bien à ses vues. Les esprits chagrins pouvaient penser que le centre droit y était trop fortement représenté. Appuyé sur M. Passy, M. Dufaure ne jugeait pas que le centre gauche eût à se plaindre du concours de MM. Duchâtel et Villemain. Heureux de s’asseoir au conseil près de son voisin de Saintonge, et fier d’y retrouver son illustre professeur, il avait avec eux « des liens de raison et d’intégrité communes et se sentait, suivant, la belle expression de M. Guizot, prêt à affronter en leur compagnie toutes les responsabilités. » Pour assurer la majorité, il fallait marcher d’un pas ferme et recueillir des adhésions par d’utiles réformes mûrement préparées et publiquement défendues. À ce point de vue, nul département n’était appelé à jouer un rôle plus fécond que le ministère des travaux publics.

À la crise commerciale et financière de 1830 avait succédé une période de prospérité prodigieuse ; le gouvernement comprit qu’il devait seconder cet essor de l’activité nationale et, de bonne heure, il se montra prêt à y consacrer de grandes ressources. En formant un ministère nouveau avec les travaux publics, qui avaient fait partie jusque-là du ministère de l’intérieur, il signalait l’importance croissante de ce service et reconnaissait publiquement, l’influence politique qu’il avait conquise dans l’état. Développer le réseau des routes, les améliorer ou en créer de nouvelles, étendre et relier les canaux, creuser le lit des rivières, attirer le commerce du monde en offrant aux flottes des ports vastes et sûrs, assainir le sol et trouver dans les entrailles de la terre les richesses minières, tels étaient les premiers problèmes qui s’imposaient à l’esprit laborieux du nouveau ministre, il n’ajourna pas leur examen.

Les immenses ressources que lui offraient les études accumulées des ingénieurs lui permirent de préparer rapidement les élémens

  1. Notes du marquis de Dalmatie, citées par M. Guizot. [Mémoires, IV, 308.)