Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 51.djvu/578

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couleur plus de solidité, la composition se resserre en lignes plus précises. M. Ferrier enfin est passé maître dans la science du clair-obscur. M. Benjamin Constant, un peintre de talent qui est, lui aussi, un chercheur, a été mal inspiré en peignant un Christ au tombeau rigide et sec comme une statue de bois ; la couleur fauve elle-même, qui rappelle le chêne peint, ajoute à l’illusion. Un autre Christ au tombeau, exposé par M. H. Michel, a un modelé plus souple et un coloris plus vrai. Quant au Christ en croix de M. Perraudeau, pas un curé de campagne ne le voudrait mettre dans sa petite église. C’est le Christ de ces Yahous qu’a décrits Swift et que Grandville a dessinés.

L’Enfant prodigue de M. Friant est assis ou plutôt affaissé contre un mamelon au-dessus duquel des porcs paissent dans une chênaie. L’enfant est nu, avec des loques sanglantes autour des pieds. On est frappé du caractère de cette physionomie abattue et de ce corps brisé. Le modelé des chairs n’est point très poussé, mais cette facture sommaire s’harmonise du moins avec celle du paysage. Les terrains qui touchent au cadre manquent de dessous et paraissent ainsi un peu flou ; les plans sont cependant marqués avec précision et les fonds ont de l’air et de l’étendue. On retrouve l’Enfant prodigue dans un tableau de M. Mangeant, qui combine sans succès les procédés de MM. Puvis de Chavannes, Cazin et Bastien-Lepage. Le jeune homme, ennuyé de garder les porcs à perpétuité, — on se lasse de tout, — s’est décidé à regagner le toit paternel. Déjà il aperçoit la maison, et son père qui l’a reconnu de loin accourt à lui. Le fils repentant tombe à genoux, montrant au public le plus vilain corps du monde, des épaules en accent circonflexe, une épine dorsale en squelette de poisson et une paire de pieds nus, vus par la plante, qui sont d’une proportion véritablement comique. La couleur est terreuse et la composition a la naïveté ineffable d’une peinture chinoise.

La Symphorose condamnée au martyre avec ses sept fils, de M. Edouard Krug, nous ramène à l’art sérieux. L’empereur et les Romains sacrifient trop aux attitudes convenues, mais le groupe de Symphorose et de ses enfans sur lequel se concentre toute la lumière est traité avec un dessin sûr et un savant modelé. Les carnations sont excellentes. Comme Flandrin et comme M. Puvis de Chavannes, M. Krug circonscrit le galbe des figures dans un trait noir. Ce procédé qui prend son effet dans la peinture murale par l’optique de l’éloignement, nous parait plus discutable dans un tableau de dimension moyenne. Parmi les sujets religieux nous signalerons encore le Martyre de saint Symphorien, de M. Langrand, d’un caractère sévère et d’une touche énergique, et Jésus chez Marthe et Marie, de M. Buland, tableau si pâle et si atone qu’il semble peint avec du blanc d’œuf.