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Le Dictionnaire de la Fable, comme on disait autrefois, n’est plus guère ouvert par les peintres. C’est à peine si l’on découvre au Salon cinq ou six tableaux inspirés par les traditions ou les mythes grecs. Voici le Supplice d’Ixion, de M. Bramtot. Le criminel renversé sur la roue tourne dans une atmosphère embrasée. La pose est bien trouvée, et le torse est peint avec fermeté. Voici le grand triptyque où M. Lecomte du Nouy a représenté Homère dormant entouré de l’Iliade et de l’Odyssée personnifiées. Voici la Fuite d’Amphinomus et d’Anapias, par M. Ernest Michel. Voici enfin, dans un cadre rond, les Parques, de M. Agache. qui a modernisé les « Heures inexorables » avec la liberté des Vénitiens du xvie siècle, mais qui leur a donné aussi la belle couleur vénitienne.

A quelle mythologie du Nord ou de l’Orient, à quel monde féerique ou à quel cycle divin, à quelle religion ou à quelle légende appartient l’adorable et mystérieuse figure de M. Hébert ? Vient-elle des bocages de l’Élide comme une dryade ? Vient-elle de la forêt Hercynienne, comme une elfe, — cette sirène des bois ? Est-ce une océanide ou une ondine, une sibylle ou une saga, une ase des montagnes ou une korrigane des landes, une houri ou une muse d’Ossian ? Est-ce Titania ? Est-ce la Kolna des Sarmates, qui présidait au mariage des fleurs ? Si nous consultons le catalogue, nous lisons Warum ? C’est une interrogation et non une réponse. Prenons ce sphinx pour l’image même de la poésie évoquée par un maître.

Les compositions mythologiques proprement dites sont rares ; en revanche il y a un nombre considérable de nymphes, de naïades, de Sources, de Crépuscules, de Nuits, de Printemps. Ce ne sont, à dire vrai, ni des nymphes ni des Nuits, mais tout simplement des femmes nues, cherchées dans la réalité ou dans le rêve. Or, parmi toutes ces études de nu, dans ce concours de la beauté, la première place appartient au Joseph Barra, de M. Henner. Il y a plus de grâce dans ce corps d’adolescent que dans toutes ces Vénus, plus de vie dans ce cadavre que dans toutes ces Bacchantes, plus de poésie dans ce gamin que dans tous ces Crépuscules.

Le Joseph Barra, hâtons-nous de le dire, n’est pas un tambour de la première république. En dépit de cette caisse qui est heureusement perdue dans l’ombre, c’est un éphèbe grec ou un pêcheur de l’Arno. L’enfant est étendu dans le sens de te toile, les bras en croix, la tête renversée sur la nuque, le thorax légèrement élevé et s’infléchissant par un mouvement harmonieux vers le spectateur. Cette pose, qui rappelle l’Abel de Prudhon dans la Justice poursuivant le Crime, est bien celle d’un cadavre. Mais si le peintre a voulu donner par l’attitude l’illusion de la mort, il s’est gardé d’en compléter l’impression par la lividité des chairs. On n’oublie plus, quand l’œil en a été charmé une fois, la carnation chaude des nymphes de