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et de prime abord, le magnétisme et l’électricité semblent bien deux choses distinctes : une expérience plus profonde a montré que ces deux choses n’en font qu’une seule, et que là où nous croyions percevoir plusieurs agens, il n’y en avait en réalité qu’un seul : de même pour la lumière et la chaleur, et en général pour tous les agens physiques, dans lesquels la science ne voit plus aujourd’hui que les différent modes du mouvement. S’il en est ainsi, qui nous prouve qu’une réduction ultérieure ne ramènerait pas à une seule cause toutes les causes de la nature, et toutes les substances à une seule substance ? Et quant à l’unité de substance, peut-on d’ailleurs résoudre cette question par l’expérience seule ? Ne faudrait-il pas aborder la question du continu, et une telle question est-elle du domaine de l’expérience immédiate ? En un mot, si, comme vous l’accordez, nous ne connaissons pas les substances dans leur fond, qui vous assure que la connaissance adéquate serait semblable à la connaissance partielle que nous en avons et que vous considérez sans preuves comme infaillible ?

M. l’abbé de Broglie insiste sur la distinction de la substance et des phénomènes ; il présente à ce sujet des vues fines, ingénieuses, exprimées souvent d’une manière heureuse. La substance et le phénomène ont quelque chose de commun, c’est de durer : ce qui les distingue, ce n’est pas « la quantité de durée, » c’est « l’espèce de la durée. » Une substance peut avoir une durée très courte, et un phénomène une durée très longue : « une fleur qui dure un jour est une substance ; le mouvement du soleil qui dure depuis des siècles est un phénomène. Le phénomène s’écoule ; la substance persiste. La substance peut commencer et finir ; mais son commencement et sa fin ne dépendent pas de son existence actuelle. Elle est dans le temps sans être pénétrée par le temps. » Le temps coule sur les substances ; il « dévore les phénomènes. » Le phénomène est hétérogène avec la substance. On ne peut les comprendre sous une même classification : un animal et un homme peuvent être rangés dans une même classe ; mais une personne et un événement ne peuvent être réunis sous un même nom : « l’addition est impossible. »

Malgré ces différences profondes de la substance et des phénomènes, les deux objets n’en forment en réalité qu’un seul. Autrement, que deviendrait la doctrine de la réalité expérimentale de la substance ? Le phénomène, en effet, s’observe dans la substance, et ne fait qu’un avec elle. Il n’y a pas deux choses : la pierre et le mouvement ; il n’y en a qu’une : la pierre en mouvement. La distinction de la substance et du phénomène serait-elle donc toute subjective ? Non, c’est la réalité elle-même qui se décompose ainsi et