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exemple, une orange est un être collectif, puisqu’elle se compose de parties séparables : cependant elle dure, elle persiste en tant qu’orange ; même un tas de pierres (l’auteur va jusque-là), est encore quelque chose de permanent ; il ne s’écoule pas : donc, l’orange, un tas de pierres, sont des substances. Un peu plus l’auteur irait jusqu’à dire, selon l’exemple opposé par Leibniz, que « la compagnie des Indes est une substance. » A la vérité, l’auteur ajoute ici une condition : c’est que les parties du tout doivent être contiguës. Des pierres répandues sur un chemin ne sont pas une substance. Qu’importe ! dirons-nous que les parties soient contiguës si elles ne sont pas continues ? La contiguïté n’est jamais qu’apparente, faute d’expérience. Il y a toujours des vides, des intervalles ; qu’importe que ces intervalles soient grands ou petits ? L’auteur fait une distinction subtile entre le tout que nous formons par l’addition des individus (par exemple, une famille, une armée, une société) et le tout que nous voyons d’une seule vue sans en distinguer les parties (une orange, une maison). Le premier n’est pas une substance, c’est une notion abstraite ; le second est une vraie substance. Mais, dira-t-on, ne peut-on le décomposer en parties qui deviennent séparables les unes des autres ! Sans doute : c’est que la substance peut être composée de substances, que les substances s’enveloppent les unes les autres. Mais, dira-t-on encore, jusqu’où va la division ? C’est la question de la divisibilité à l’infini : question qu’on peut appeler ultérieure et de la solution de laquelle ne doit pas dépendre notre notion de la réalité. Que les derniers élémens soient des atomes ou des monades, ou qu’il n’y en ait pas du tout, c’est-à-dire que la division aille à l’infini, il n’en est pas moins vrai que l’orange est une réalité et non un phénomène, et, à ce titre, elle est une substance. On dira peut-être : si tout ce qui forme un tout est une substance, le monde qui lui-même est un tout ne devra-t-il pas être appelé une substance ? Sans doute, n’hésite pas à répondre l’auteur, mais ce n’est pas dans le sens des panthéistes ; ce n’est qu’une substance complexe. Mais, dirons-nous à notre tour, si vous renvoyez comme question ultérieure la question des dernières substances, des derniers élémens de la matière, qui vous dit que quand vous arriverez à ce problème, au lieu de trouver une divisibilité à l’infini, vous ne trouverez pas une indivisibilité réelle, absolue, à savoir non-seulement la contiguïté, mais la continuité absolue des êtres ? C’est donc une illusion de croire, comme vous le dites, que votre doctrine sera toujours, quoi qu’il arrive, opposée au panthéisme : c’est là une question réservée aussi bien -que toutes les autres.

Revenons à la proposition fondamentale de fauteur : les