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qu’elles le seraient aux positivistes eux-mêmes : « Du moment qu’il n’y a ni corps ni espaces, mais de simples fantômes internes, la cause inconnue de ces fantômes, l’être inintelligible, qui, n’étant pas étendu, cause l’appréhension de l’étendue, nous paraît digne de fort peu d’intérêt. Ce second monde obscur, composé de forces, doublure du premier monde composé de phénomènes, n’ayant aucun rapport quelconque avec les sciences physiques et naturelles et n’ayant aucun rapport déterminé avec l’âme humaine et avec Dieu, n’étant d’ailleurs susceptible que d’être très imparfaitement connu par un raisonnement douteux, ce qu’il y a de plus simple est de ne pas s’en occuper. » On voit que l’auteur reste fidèle aux impressions qu’il a recueillies dans M. Taine contre le spiritualisme leibnizien, qu’il appelle demi-positivisme. Mais il nous semble que ce serait plutôt sa propre doctrine qui mériterait ce nom ; car écarter les problèmes relatifs à l’essence des choses sous prétexte qu’ils sont insolubles, supprimer les notions métaphysiques qui prétendent atteindre l’intérieur de ces choses sous prétexte qu’elles ne seraient pas d’accord avec les perceptions de nos sens, appeler inintelligible tout ce qui ne se traduit pas en sensation, dire même qu’il ne faut pas s’occuper d’une : chose parce qu’elle nous conduirait à l’incompréhensible, qu’est-ce autre chose que la plus pure doctrine du positivisme ? Qu’y a-t-il d’étonnant d’ailleurs que les choses considérées dans leur être intérieur, dans leur en soi ne soient pas semblables à ce qu’elles sont dans leurs manifestations ? et pourquoi dire aussi qu’il n’y a nul rapport entre les unes et les autres ? Dira-t-on qu’il n’y a nul rapport entre les mots et les pensées, parce que les pensées ne sont pas des mots et ne peuvent jamais être perçues directement ? L’auteur n’accorde-t-il pas lui-même que les mouvemens de l’air ou de l’éther se traduisent pour nous en sons et en lumière sans être ni son ni lumière ? Donc des choses qui, en soi, ne sont ni sonores ni lumineuses peuvent nous apparaître comme telles. Pourquoi, par la même raison, des choses inétendues ne nous apparaîtraient-elles pas sous la forme de l’étendue ? Et pourquoi n’y aurait-il pas, entre l’étendue apparente et l’essence interne des choses, un rapport précis qui nous échappe, comme il y en a un absolument inexplicable entre les apparences lumineuses et leurs causes mécaniques ? Il ne faudrait donc pas dire que ce monde idéal et dynamique, caché et manifesté à la fois par le monde apparent, n’aurait nul rapport avec celui-ci et, par conséquent, avec les sciences physiques et naturelles, car tout ce qui est dans l’un serait la traduction de ce qui est dans l’autre : l’un serait la seule manière que nous ayons de connaître l’autre. L’auteur peut bien dire que, s’il en est ainsi, nous pouvons, au point de vue pratique, nous en tenir au premier et abandonner l’autre