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aux rêveries des métaphysiciens ; rien de plus sage, mais c’est parler en positiviste, non en métaphysicien. Laissons d’ailleurs cette discussion anticipée que l’auteur provoque lui-même par ses incursions légèrement agressives sur un domaine qu’il était convenu de réserver de part et d’autre et que l’on peut en effet réserver sans rien préjuger en disant simplement que l’analyse expérimentale de la perception extérieure doit être indépendante de toute théorie métaphysique préconçue.

Entrant plus avant dans l’analyse de la perception extérieure, l’auteur s’engage à prouver que la science ne contredit pas le sens commun, ou plutôt, comme il s’exprime, « que les corrections scientifiques ne dépassent pas la mesure prévue, » tandis que le système contraire, à savoir le système de l’étendue subjective, est « non pas la correction, mais la contradiction du bon sens. » Suivons-le dans cette analyse ? nous rencontrons d’abord des choses excellentes, bien vues et bien dites dans l’étude des différens sens, et d’abord de l’ouïe et de La vue. L’ouïe, dit-il, est « le sens avertisseur. » C’est le sens qui dépend le moins de nous : nous pouvons fermer les yeux, tenir nos mains immobiles, nous sommes bien moins libres de ne pas entendre ; le son nous surprend malgré nous et nous avertit qu’il se passe quelque chose de nouveau. Dans tous les grands mécanismes, le son est employé, comme avertisseur. L’ouïe est encore le sens des phénomènes successifs, et par là il test essentiellement le sens du phénomène : car le caractère propre du phénomène, c’est de s’écouler. Aussi l’ouïe ne pénètre pas dans les substances et s’y atteint que par induction, Elle nous apprend peu de choses sur le dehors, si ce n’est à l’aide d’un autre sens : elle est donc hétérodidacte[1]. La vue, comme l’ouïe est encore le sens des apparences ; mais ces apparences lui révèlent des substances, c’est pourquoi l’auteur l’appelle un sens « divinatoire ; » comme l’ouïe, elle a besoin d’être instruite par le secours des autres et elle est hétérodidacte : de là viennent les illusions si fréquentes et si connues qui sont propres à ce sens. Si l’ouïe et la vue sont les sens de l’apparence, le tact est le sens des réalités, il n’a pas besoin des autres ; ceux-ci ont besoin de lui. C’est pourquoi l’auteur l’appelle « le sens vérificateur, » et comme ce sens s’instruit lui-même sans avoir besoin d’autrui, il est « autodidacte. » L’auteur dit que c’est le seul sens qui n’ait pas d’illusions, au moins l’illusion n’y est-elle qu’un accident. Peut-être est-ce passer un peu légèrement sur les illusions du toucher. L’auteur n’en parle que vaguement ; il indique seulement « un mode

  1. Mot créé par l’auteur et signifiant : instruit par autrui, par opposition à autodidacte, qui s’instruit soi-même.