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oublier parfois les conditions premières qui déterminent les lois de l’architecture dans un pays, le goût du grandiose et une certaine magnificence restaient l’apanage de la nation. Le tremblement de terre de 1755 vint tout détruire, la secousse se fit, sentir depuis Lisbonne jusqu’à Porto ; le marquis de Pombal, par un suprême effort d’énergie, devait reconstruire la ville sur un plan grandiose et d’une régularité qui substituait une certaine monotonie aux pittoresques dispositions dictées par les conditions mêmes du terrain primitif. Pombal cependant, avec ses vues grandioses, voulait rester national et, s’il ne put se soustraire au courant qui entraînait alors l’Europe, il voulut du moins n’employer que des artistes portugais à la réalisation de ses nobles desseins. La place du Commerce et son escalier superbe qui baigne dans le Tage, ses marches monumentales, et la fondation de cette série de rues régulières qui rappellent la construction de la ville de Turin tracée sur un plan d’ensemble, ne constituent point une profession de foi architecturale à un caractère national, mais elles attestent du moins un goût décidé pour la magnificence. Ce fut le dernier effort réalisé avant les temps contemporains.


Il faut conclure de cette exposition des conditions particulières dans lesquelles se trouvait la nation portugaise qu’il était difficile que ses arts affectassent en face de ceux de L’Espagne, un caractère nettement original ; cependant, le jour où elle s’affirma par son génie des découvertes et attira sur elle l’attention du monde entier, elle sut trouver une formule architecturale à laquelle on a donné le nom du souverain qui régnait alors, le « style manuelin » appliqué à presque tous les monumens élevés dans le premier quart du XVIe siècle, est celui dont le monastère de Belem nous offre l’exemple le plus célèbre. Si on considère que le roi dom Manoel n’a pas construit moins de soixante-deux édifices (dont Damian de Goes nous a laissé la liste), que ces œuvres éparses dans tout le pays multipliaient les exemples, d’une manière propre à l’architecte de Belem, Boytaca, que les successeurs du prince allaient encore se l’approprier jusqu’à la moitié du XVIe siècle, et qu’enfin, non contens de la localiser aux monumens, les élèves du maître devaient l’appliquer à l’art ornemental dans toutes ses acceptions, on comprendra, quelle que soit la valeur du style au point de vue de l’esthétique, qu’il faut le constater, l’étudier et le classer.

Cette appellation du « style manuelin, » ratifiée par les Portugais eux-mêmes, est très récente encore ; elle est due à un étranger, François de Varnhagen, qui, vers 1842, étudiait l’architecture du monastère de Belem pour publier sa Notice historique et descriptive.