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nous le voyons contracter une dette pour en détruire une autre, ou, comme dit le peuple, découvrir Pierre pour couvrir Paul. L’imprudence est un mal dont les natures généreuses ont d’ailleurs peine à se guérir, et Nodier eut en tout temps des rechutes fréquentes de ce mal. Pendant les années de la restauration, il engagea légèrement sa signature pour rendre service à un ami dont le nom ne nous est pas donné : à l’échéance, l’ami disparut, et Nodier se trouvât obligé de faire face à des engagemens qui ne lui étaient pas personnels. La somme était assez faible (quelque chose comme 5,000 fr. ), mais elle représentait pour Nodier une masse énorme de travail. Il n’avait qu’un moyen de s’acquitter : c’était d’engager par avance pour un temps donné les indemnités ou salaires fixes qu’il recevait ; mais ce moyen était encore une imprudence et il n’était pas facile de trouver un banquier qui consentît à une pareille affaire. Refusé par le banquier conservateur en vogue de l’époque, Nodier fut plus heureux avec M. Jacques Laffitte, qui, libéral de cœur comme d’opinions, s’empressa de sortir d’embarras un royaliste aussi intéressant. Ce solde par fractions de la somme dont nous venons de donner le chiffre, perpétuellement retardé, et par les besoins d’argent de Nodier, et par les changemens des ministères, et par la révolution de juillet, durait encore en 1836. La gêne l’accompagna, on peut le dire, jusqu’au tombeau ; car dans les années qui précédèrent sa mort, nous le voyons faire des prospectus pour des libraires ou des industriels au prix fixe de 500 francs ; c’est lui-même qui, dans une série de lettres à son ami Weiss, nous a révélé ce navrant détail. En voilà assez sur ce triste sujet ; laissons là l’homme et revenons, pour ne plus le quitter, au romancier et au conteur.

Mademoiselle de Marsan, avons-nous dit, marqua la fin de ce second repos de ses facultés inventives. Cette longue nouvelle où il faisait retour à ces mystères du carbonarisme qui l’avaient tant préoccupé autrefois, venait bien à son heure à cette fin de la restauration où la marée montante du libéralisme annonçait qu’elle allait encore une fois tout emporter : sans être trop préoccupé de l’à-propos, Nodier ne le négligeait cependant pas, et il n’est pas impossible que cette nouvelle ait été écrite en vue de l’heure où elle parut. C’est une seconde édition de Jean Sbogar revue, corrigée, moins naïve que la première, mais mieux composée, et d’une tout autre unité de manière ; on y sent manifestement l’influence de l’école romantique, qui livrait alors ses grandes batailles et dont Nodier était un des plus fervens adeptes. Dès l’apparition de cette école, en effet, il avait reconnu en elle ses propres doctrines et il s’était prononcé pour les novateurs. Il fut donc romantique et il le fut absolument,