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sans hésitation, sans réserve, sans aucun de ces compromis auxquels s’arrêtaient volontiers alors les hommes de sa génération, un Guiraud, un Soumet, un Lebrun, voire même un Népomucène Lemercier, car si nous avons dû lui contester son titre d’initiateur, nous ne pouvons dire qu’il ait été à aucun degré un homme de transition. A partir de la constitution de l’école romantique au moins, on ne trouve dans ses écrits rien qui marque le passage d’une génération à une autre. En critique, il a pu être de plus d’une époque, mais dans la littérature d’imagination, il est entièrement de son temps. L’apparition du romantisme, fut, après la restauration, l’événement qui eut pour Nodier les plus heureuses conséquences. Par exemple, il lui dut le monde qui convenait essentiellement à son tour d’esprit et à ses préférences. Jusqu’alors, sauf quelques bons vieux camarades franc-comtois, il n’avait eu que des amis pris un peu partout, au hasard des rencontres et des accidens de sa vie peu stable, divers d’esprit comme de condition et de doctrines comme de fortune ; pour la première fois il trouvait, avec l’école d’Hugo, un groupe compact de jeunes esprits dont aucune division ne le séparait. Il est curieux de l’entendre dans ses lettres de la fin de la restauration et du commencement du règne de Louis-Philippe parler de Victor Hugo et d’Alexandre Dumas, de Sainte-Beuve et de Vigny comme s’ils étaient ses compagnons d’âge. C’est qu’en effet il lui était arrivé de rencontrer vingt ans trop tard ses amis selon son cœur et son imagination, et il avait dû vivre dans une sorte d’isolement intellectuel qui n’avait cessé qu’avec leur tardive arrivée. Par son âge et son renom, Nodier devint tout de suite un des centres de cette phalange sympathique, et son salon de l’Arsenal, dont les soirées resteront célèbres dans l’histoire littéraire de notre siècle, fut à la phase triomphante du romantisme ce que le cénacle avait été à sa phase militante. C’est aussi en partie, je le crois, à l’influence de ce jeune monde et à l’appui qu’il y trouvait qu’il faut attribuer la fécondité de ses quinze dernières années. Nodier a énormément écrit durant ces quinze années et dans les genres les plus divers : nouvelles, contes, fragmens autobiographiques, portraits historiques, dissertations critiques, fantaisies philosophiques, pamphlets humoristiques. La variété des dons est très grande, il faut en convenir, si elle répond à la variété des œuvres. Lui-même semblait s’étonner de cette végétation mêlée et se plaisait à l’expliquer par les différences et les contradictions de sa nature. Dans une aimable fantaisie qui date de 1830, l’Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux, il a justifié cette apparente incohérence en se présentant comme composé de trois hommes opposés : l’un, tout contemplation et rêverie ; l’autre, tout entrain et gaîté malicieuse ;