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territoire, rattachant les extrémités au centre, parcourant les lieux de production et de consommation les plus importans, tandis que les autres satisfaisaient seulement à des besoins locaux et déterminés, se reliant le plus souvent aux premières, mais pouvant être différées ou même négligées. Dans les lignes d’intérêt général, chacun, pour ainsi dire, est juge et partie : il s’agit réellement d’une propriété universelle, commune à tous, revêtue d’un caractère national. La gestion même d’un tel bien comporte des conditions spéciales qui la rattachent encore plus étroitement à l’ordre public. Le privilège concédé pour établir une circulation forcée, au travers de tous les immeubles fonciers, par laquelle la liberté des mouvemens est perpétuellement entravée, constitue une véritable souveraineté dont les signes visibles frappent bien autrement la vue et s’imposent plus à l’esprit que telle autre partie du domaine de l’état, les monumens eux-mêmes, par exemple, les grandes routes, etc. On ne saurait le nier, ces bandes, interminables de terrains protégés par d’infranchissables barrières, qui s’étendent d’une frontière à l’autre, que parcourent avec fracas des convois énormes traînés par de gigantesques machines enflammées, ne paraissent pas pouvoir constituer des entreprises privées en dehors de la vigilance et de l’action directe du gouvernement, en France surtout où le sentiment intime des masses se retourne sans cesse vers lui pour tout ce qui touche à ses intérêts moraux et matériels.

Jusqu’à présent l’histoire de nos chemins de fer a bien montré que dans leur exécution ce caractère de propriété publique leur a été reconnu ; c’est ainsi que le gouvernement a cru devoir jouer le rôle de promoteur d’abord, d’ouvrier de la première heure, puis, lorsqu’il a appelé l’industrie privée à son aide et qu’il a modifié en partie la nature de cette propriété publique pour la partager avec des compagnies particulières, il a conservé son droit de tutelle, de surveillance, de décision. Trois périodes distinctes se rapportant à trois régimes différens ont successivement vu naître et se développer l’organisation du moyen de transport perfectionné auquel est principalement due la prospérité matérielle dont nous jouissons. La première correspond à la monarchie constitutionnelle qui a pris fin en 1848, la seconde à l’empire, la dernière à notre troisième république. Toutes trois ont-elles obéi aux mêmes principes et produit les mêmes heureux résultats ?

La loi de 1842 constitue l’acte le plus important du gouvernement de 1830 : il avait été précédé par d’autres, puisque la concession du chemin de fer de Saint-Etienne à la Loire date de 1823 et que l’approbation de la petite ligne de Saint-Germain à Paris, qu’on peut appeler la tête des grands réseaux, a obtenu l’approbation des chambres en 1835. Dès l’année 1841, 499 kilomètres de