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diplomatiques de l’Europe. L’expédition de Garibaldi, appuyée par lui en sous-main, et secrètement soudoyée par Victor-Emmanuel, ne pouvait que le servir. Vaincu et tombé aux mains du roi de Naples, Garibaldi était fusillé et Cavour était délivré d’un agitateur qui pouvait lui créer un jour de graves embarras ; victorieux, Garibaldi ne pouvait rester dictateur du royaume des Deux-Siciles, qui se joindrait naturellement aux provinces déjà réunies à la couronne de Savoie, et un tel accroissement de puissance valait m’en les ennuis qu’il ne serait pas dans la nature du vainqueur de ménager. C’est pourquoi Cavour se frottait les mains et était en correspondance avec quelques voyageurs qui parcouraient alors les Calabres et la Capitanate. Quant à ce qui pouvait survenir dans les états de l’église, il disait avec conviction : « Nous savons trop ce que nous devons au saint-père pour permettre jamais à Garibaldi d’attaquer l’armée du pape. » En effet, ce n’est pas Garibaldi qui était à Castel-Fidardo.

Les hommes comme Cavour ne laissent point d’héritiers et n’ont pas d’élèves, parce que l’on n’enseigne pas l’intelligence, la vision profonde et la divination. Ce sont là des dons que l’on ne peut transmettre et qui ne se trouvent pas dans tous les portefeuilles de ministre. Croire à son génie, ou avoir du génie, ce n’est pas la même chose, et les huit maréchaux que l’on appelait la monnaie de M. de Turenne n’ont jamais pu que rendre plus désastreux le coup de canon de Salzbach. Il en fut ainsi de Cavour, dont la finesse n’excluait pas la grandeur et qui avait compris que l’union de la race latine était indispensable à la puissance de chacune des familles qui la composent. Bien des infortunes nous ont visités depuis qu’au mois de juin 1861, Cavour a été brusquement arraché à son œuvre ; jamais je n’ai pensé à nos désastres, aux mutilations que nous avons subies, sans comprendre que sa mort avait été un irréparable malheur pour l’Italie et pour la France.

Je m’embarquai à Gênes, sur le bateau à vapeur la Provence, le 13 août ; nous étions treize compagnons, — au-dessus de l’écoutille du carré des premières, il y avait un trophée de treize fusils : un Romain aurait reculé. Je fus nommé dans une dépêche télégraphique expédiée de Gênes aux journaux de Paris. Il y eut parmi mes amis un haro contre moi. Louis de Cormenin accourut en Italie dans l’espoir de me rejoindre et de me ramener. Lorsqu’il arriva à Turin, j’avais déjà quitté Palerme, traversé la Sicile et j’étais à Messine au milieu du bruit des cloches, des sonneries de clairon, de la poussière, de la chaleur et des coups de canon, que la citadelle restée aux mains des royaux ne nous épargnait pas. Gustave Flaubert m’écrivait : « Si tu as devant toi cinq minutes, mon bon Max, envoie-moi un mot seulement que je sache ce que tu deviens, sacrebleu l si tu es mort, vif ou blessé. Je fais tout ce que je peux pour ne point