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s’est ouverte à la lumière divine, où la semence de sa pensée a germé. Il n’est pas sûr qu’il y soit jamais entré, quoique les pères franciscains affirment que leur couvent est bâti sur le lieu même de la pêche miraculeuse. Mais Tibériade était, à cette époque, une de ces villes profanes, peuplées de païens et d’infidèles, dont le luxe vulgaire choquait son goût délicat et blessait son austère moralité. Son enseignement s’arrêtait à cette limite ; sa région favorite s’étendait de l’entrée du Jourdain à Tibériade, c’est-à-dire dans un espace d’environ trois lieues. Il ne lui a pas fallu plus de place pour développer son apostolat, et c’est sur un théâtre aussi restreint que s’est déroulée une œuvre qui devait plus tard couvrir le monde entier. Cinq villes, dont le nom revient sans cesse dans l’évangile, s’élevaient sur la côte du lac : Magdala, Dalamanuthos, Capharnaüm, Bethsaïn, Choragin. Grâce à Dieu ! elles sont toutes disparues ; les malédictions et les menaces que Jésus, dans ses jours de colère, prononçait contre elles, se sont accomplies ; il en reste à peine la trace, et c’est tout à fait au hasard que les érudits croient les retrouver chacune en un lieu différent. Une seule d’entre elles est encore d’une authenticité à peu près certaine. Magdala, la patrie de Marie-Madeleine, était bien réellement située là où se dresse aujourd’hui le misérable, mais pittoresque village, de Megdel. Un groupe de masures, bâties en torchis et en pierres sèches, dominées par un grand palmier et assises au pied d’une haute montagne fortement escarpée, quelques arbres épineux, les ruines d’une tour, quelques fîguiers sauvages, voilà tout ce qui reste du lieu où Jésus a été le plus aimé ! Le temps et la nature n’ont pas même respecté ce souvenir. Pour arriver à Magdala, il faut traverser des vallées volcaniques qui sont descendues jusque dans le lac et y ont formé de hautes falaises, au pied desquelles on a parfois à peine un sentier suffisant pour passer. Cette sorte de frontière naturelle sépare la petite plaine de Tibériade du pays de Génezareth ; on la franchit péniblement. Le reste de la promenade jusqu’à Tell Houm, emplacement supposé de Capharnaüm, est délicieux. On part de Tibériade aux premières heures de la matinée pour éviter la chaleur accablante et l’éblouissante lumière du milieu du jour. Les teintes moirées du lac ont alors une douceur infinie ; la route que l’on suit est partout bordée de touffes de lauriers roses et d’arbustes en fleurs ; des myriades d’oiseaux aux couleurs les plus vives s’abattent sur les eaux. Le lac est littéralement couvert de mille espèces plus charmantes les unes que les autres. Je me rappelle surtout des oiseaux bleus dont j’ignore le nom, qui, à l’approche de nos chevaux, s’éloignaient sans cesse des touffes de lauriers fleuris pour aller se perdre au loin. La plupart de ces oiseaux se nourrissent des poissons du lac qui sont encore aujourd’hui aussi