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M. Ferry, nous ne reconnaissons dans la sienne aucun de ces caractères.

Tout au rebours, ce que nous y apercevons et ce qui éclate avec plus de force encore dans la plupart des mesures qui sont en ce moment soumises à la chambre, c’est l’aversion des républicains pour la religion nationale. Avons-nous donc cessé d’être un pays catholique dans la grande et large acception du mot, c’est-à-dire un pays profondément imprégné de traditions, de coutumes, d’idées et de sentimens catholiques ? Et serions-nous devenus, par hasard, une nation de protestans à tendances et à culture germaniques, de juifs à idées cosmopolites et de libres penseurs bassement envieux de tout ce qui a fait la gloire et l’éclat de l’ancienne France ? On pourrait le croire, en vérité, devant le nombre et l’intensité des efforts auxquels nous assistons depuis quelques années. Que le gouvernement en ait ou non conscience, qu’il le veuille ou non, sa politique n’est pas seulement anticléricale, elle est profondément, absolument antireligieuse. Elle ne se contente pas d’être hostile à l’église ; le but où elle tend, c’est d’arracher du cœur et des entrailles de ce pays sa foi séculaire et d’y substituer, sous prétexte de patriotisme, le culte étroit et borné d’une forme de gouvernement. L’idée n’est pas neuve ; elle avait déjà séduit, à une époque de décomposition sociale qui n’est pas sans ressembler à la nôtre, des esprits auxquels il paraît plus décent de comparer nos hommes d’état actuels qu’à l’immortel auteur du concordat. Les ministres du directoire, eux aussi, sacrifiaient à l’illusion de rattacher la morale au principe même du gouvernement et de remplacer l’idée de Dieu par celle de patrie, rapetissée jusqu’à se confondre avec celle de république. Eux aussi n’admettaient ni le prêtre ni l’enseignement religieux dans l’école, et leur prétendue neutralité dont ils faisaient aussi volontiers parade n’était qu’un déguisement officiel. Témoin les lettres confidentielles de Quinette et de Letourneux[1], témoin aussi cette inondation de petits livres malsains, haineux, pleins de traits empoisonnés contre la France de l’ancien régime et de sottes adulations à l’égard du nouvel ordre de choses, en tout pareils aux manuels que M. le duc de Broglie flétrissait naguère au sénat avec l’inimitable hauteur de dédain qu’on sait. Le rapprochement est frappant, la ressemblance évidente, et vraiment, en fait d’ancêtres, puisqu’ils en cherchent, nos hommes d’état pourraient bien se contenter de ceux que leur offre la période directoriale. Cela serait moins flatteur peut-être que de se réclamer de Bonaparte, mais cela ferait moins sourire.

  1. Voir, dans la Revue du 15 décembre 1881, l’Instruction publique et la révolution.