Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la foudre. Où prétendait aller ainsi Alexandre ? Éphestion, détaché plus au nord chez les Phégéens, rapportait de son exploration d’inquiétans renseignemens. Quand on aurait traversé l’Hyphase, on rencontrerait une contrée déserte s’étendant à douze journées de marche au-delà du fleuve. Pour arriver au Gange, il fallait, quoi qu’on fît, affronter ce désert. Franchirait-on le Gange après avoir laissé derrière soi l’Hyphase ? Le Gange était, au dire du chef des Phégéens, le plus large et le plus profond des fleuves de l’Inde. Que gagnerait-on à vouloir le traverser ? Sur la rive orientale, on trouverait une armée quatre ou cinq fois plus considérable que l’armée de Porus. Les Prasîens et les Gandarides pouvaient mettre sur pied vingt mille hommes de cavalerie, cent vingt mille fantassins, deux mille chars et quatre mille éléphans.

Porus, consulté, ne démentait pas les assertions du chef des Phégéens ; îl en atténuait singulièrement la portée : la puissance de Xandramès, le roi des Prasiens et des Gandarides, n’avait pas, — rien n’était plus vrai, — son égale dans l’Inde, mais la personne du monarque ne répondait guère à l’importance des forces qu’à juste titre on lui attribuait. Be basse origine, parvenu au trône par le crime de son père, un Êgisthe indien, Xandramès ne justifiait son élévation par aucune des qualités qui font les grands rois ; il n’opposerait certainement pas aux Macédoniens la résistance que son immense armée semblait de nature à faire craindre. En parlant ainsi, Porus allait au-devant de la pensée secrète d’Alexandre. Le vainqueur d’Issus et d’Arbèles avait plus qu’aucun autre le droit incontestable défaire peu de cas des multitudes ; en dépit des murmures qui assiégeaient déjà de la façon la plus importune ses oreilles, il poursuivit sa route vers l’Hyphase.

Burnes traversa ce fleuve vers la fin du mois d’août : grossi par les pluies, l’Hyphase coulait alors à pleins bords ; sa largeur dépassait 1,600 mètres, sa plus grande profondeur 5 mètres et demi ; le courant avait une rapidité de 5 milles à l’heure. Burnes mit près de deux heures à traverser cette vaste nappe d’eau et ne put prendre terre qu’à 3 kilomètres environ au-dessous du point d’où il était parti. Le Sutledje, — l’Hesudrus des anciens, — offre un moindre volume. C’est cependant encore un fleuve considérable, large de 700 mètres, profond de 5 ou 6 dans la saison des pluies, quoiqu’il soit généralement guéable dès le mois de novembre. L’Hesudrus et l’Hyphase réunissent leurs eaux pour les aller porter à l’Indus ; les historiens d’Alexandre n’ont mentionné que le plus important de ces deux fleuves, celui qui est censé absorber l’autre, l’Hyphase ; les géographes modernes ont fait au Sutledje et au Bias la part plus égale : ils les ont confondus, au-dessous de Sobraon, — un des champs de bataille de lord Gough, — sous le nom commun de