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l’autre n’avaient un sérieux intérêt à franchir. Il était donc facile au puissant arbitre qui se chargeait de prononcer entre des prétentions trop longtemps rivales, de faire une équitable part à l’allié docile qui devait tenir en bride les Assacéniens et au fier vassal qu’il comptait opposer comme une barrière aux empiétemens des Prasiens et des Gandarides. En ce moment, arrivait de la Grèce, conduite par Memnon, toute une armée d’alliés et de mercenaires : « trente mille hommes d’infanterie, nous affirme Diodore de Sicile, et près de six mille cavaliers. » Cette armée escortait un convoi considérable dont la composition seule nous ferait comprendre ce qu’exige de prévoyance active l’entretien d’une expédition jetée à une si grande distance de ses magasins. La lutte à main armée fut peut-être au temps d’Alexandre, comme au temps de Napoléon, la moindre partie de la stratégie ; l’art de faire vivre ses troupes, de les approvisionner en temps opportun d’armes et de munitions semble avoir déjà constitué la grosse difficulté du métier. Alexandre recevait, par les soins d’Harpalus, outre l’important renfort dont nous venons de donner le chiffre, plus de 2,000 kilogrammes de médicamens et vingt-cinq mille armures complètes destinées à l’infanterie. Cet important secours pouvait aussi bien trouver Alexandre sur les bords de l’Hyphase que sur les rives de l’Hydaspe : eût-il changé les déterminations du roi, imposé silence aux murmures d’une armée dont les misères touchaient à sa fin, car le ciel n’allait pas tarder à s’éclaircir ? Il est permis de le supposer. Dans ce cas, Alexandre traversait l’Hyphase, l’Hesudrus, et s’engageait, non loin de Firozpour et de Loudhiana, sur la route royale qui conduisit, en l’année 302 avant Jésus-Christ, Mégasthène, l’ambassadeur de Séleucus Nicator, l’hôte du satrape d’Arachosie, Sibyrtius, à Palimbothra, ville immense, située au confluent de l’Erannoboas, — la Jumna, — et du Gange. Ce parcours évalué par l’ambassadeur de Séleucus à 1,840 kilomètres environ, ne menait pas encore Alexandre à la mer ; il l’en rapprochait beaucoup puisqu’il le laissait aux lieux qu’occupe aujourd’hui Bénavès, nœud des voies ferrées de Bombay, de Lahore et de Calcutta. Mais quel n’eût pas été l’étonnement des Macédoniens, si, des bouches du Gange, ils eussent voulu gagner le Golfe-Persique et, comme le leur faisait entrevoir Alexandre, les colonnes d’Hercule, en contournant la Libye ! Tout un monde s’interposait entre le Gange et l’Indus ; un autre monde, bien plus vaste encore, se développait entre l’Indus et le Nil. Plus égarés au milieu de ces ténèbres géographiques que Colomb qui se flattait d’avoir abordé en Asie, le jour où il découvrit la grande île de Cuba, les Macédoniens n’étaient pas très éloignés de croire que ces fleuves immenses, alimentés par les sommets neigeux du Caucase, cet Indus qui nourrissait des crocodiles, cet Hydaspe qu’ils trouvaient