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tenait du bout de ses doigts écartés, avec dégoût, comme elle eût fait d’un objet souillé, et elle le retournait, les yeux hors de la tête de colère et d’indignation :

— Une épingle à cheveux ! Ainsi Angelo fréquentait les filles ! et quelles filles ! des drôlesses qui laissaient traîner leurs épingles dans la poche d’un garçon !… Autant dire qu’il les décoiffait. Eh bien ! c’était du joli ! A quoi donc servait l’éducation qu’elle lui avait donnée puisqu’il devait en faire ni plus ni moins que les autres. C’était donc une fatalité ! Les hommes étaient tous nés pour le mal, quoi qu’on fît !

Et Madeleine, rentrée dans sa chambre, s’effondra sur une chaise, la tête dans son tablier, et pleura.

La sévérité naïve de la gouvernante avait, au fond, une cause bien touchante. Jeune fille, on l’avait séduite. Elle ne s’était jamais consolée et elle s’imaginait que, si l’on donnait une éducation plus morale à l’un comme à l’autre sexe, ces malheurs-là n’arriveraient pas. Elle s’emportait sur cette thèse et se flattait secrètement d’en donner la preuve par la conduite irréprochable d’Angelo. Et voilà que, lui aussi, pratiquait le vice !

Oh ! mais elle le sauverait,… s’il en était temps encore, mon Dieu ! Elle l’arracherait à la créature dépravée qui venait de l’initier au mal. Elle le ferait rentrer dans le droit chemin.

Elle s’arrêta sur cette pensée, qui prenait tout à coup dans son cerveau des proportions extravagantes. Tout un monde venait d’éclore et bourdonnait autour d’elle. Elle s’était remise debout et, l’œil fixe, haletante, elle suivait son rêve. Bientôt elle rêva tout haut :

— Voilà, c’est cela… Parbleu, c’est bien naturel, il n’y a pas d’autre moyen. Il faut le marier. Mais à qui ? Ah ! cherche. Avec cela que c’est facile ! Pas de père, pauvre petit ! Qui donc en voudra ? une ouvrière, peut-être ? Merci ! Il lui faut une demoiselle à ce mignon si délicat. Il n’est peut-être pas assez joli pour plaire, celui-là ! Oui, mais à qui ? Oh ! hé !… oh ! quelle idée !… O Seigneur mon Dieu, je n’en puis plus !… Si celle-là voulait de lui ?… Ma foi, ni une ni deux, j’y vais tout de suite. Nous verrons bien.

Une heure plus tard, la gouvernante de M. Barbarin, vêtue d’une robe noire, d’un châle sombre, avec un chapeau très simple recouvert d’une voilette, sonnait à la porte du petit pensionnat tenu par Mme Morimbeau.

II.

Ce « pensionnat » n’était en réalité qu’une école où trois douzaines de petites filles de la classe ouvrière venaient apprendre à