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lire et à réciter proprement pourquoi Dieu les avait créées et mises au monde. Du matin au soir, un hurlement intermittent initiait les voisins aux progrès que faisait l’enseignement dans ces jeunes cerveaux, car, pour simplifier la besogne, les réponses au catéchisme se faisaient en bloc par toutes les élèves à la fois. Cela produisait une musique exquise. On entendait d’abord une voix douce qui posait la question ; puis soudain une fusée de voyelles éclatait, lancée par trente-six petites bouches bien ouvertes, mais pas toujours avec ensemble. Alors s’égrenait une cascade de cris aigus qui retombaient dans l’oreille comme des flèches. Les voisins se claquemuraient furieux derrière leurs portes.

Tranquille cependant demeurait à son poste l’institutrice martyre dont la voix douce coupait comme d’un soupir le rythme de ce chœur infernal. Ce n’était pas Mme Morimbeau.

Mme Morimbeau se livrait à des occupations plus sérieuses. Elle composait des livres pour l’édification de la jeunesse. Mgr l’évêque les approuvait, et on les donnait en prix dans les pensions aux petites filles.

Rien n’était plus propre, du reste, à leur donner une idée vraie de l’humanité que ces historiettes sans style, où tous les événemens de la vie étaient expliqués par les fonctions multiples du doigt de la Providence, — jolis petits manuels de bonne conduite dans le monde, élégamment reliés en toile gaufrée et dorés sur tranche, et destinés à les rendre incapables de concevoir les hautes vertus qui découlent des notions de la responsabilité humaine ; mais Mme Morimbeau se moquait de ces vérités philosophiques comme d’une guigne. Pourvu que son éditeur lui payât six cents francs par an pour deux manuscrits régulièrement livrés l’un à Noël, l’autre aux cerises, elle se tenait pour femme supérieure et auteur tout à fait distingué. Elle signait hautement : Blanche de Morimbeau.

Elle avait obtenu de son éditeur qu’on donnât ses œuvres à imprimer chez M. Barbarin, afin qu’elle eût toute facilité de corriger ses épreuves. Cela occasionnait un perpétuel va-et-vient entre l’imprimerie et le pensionnat, et quelques relations familières en étaient nées.

Parfois, Mme Morimbeau rencontrait la gouvernante de l’imprimeur et s’arrêtait un moment pour causer de ses œuvres. Madeleine, flattée, l’écoutait. D’autres fois, Angelo portait les épreuves, et si c’était après la classe, par exemple, il attendait volontiers que madame eût achevé les corrections.

Il s’en allait alors sournoisement vers le jardin, où il rencontrait toujours la sous-maîtresse, Mlle Thilda. Tous les deux s’asseyaient sur un banc dans un coin, elle avec sa broderie dans les doigts, lui les regards perdus sur les yeux battus et les joues pâlies de la jeune fille.