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entraîner l’archéologie et l’ethnographie lorsqu’elles se substituent à l’art, nous en venons jusqu’à répudier la vraisemblance historique. Nous affectons l’ignorance. Cependant l’instruction se répand de toutes parts, et bientôt les artistes se trouveront en présence d’un public qui aura toute raison pour leur être sévère. Pouvons-nous refaire à notre usage l’indifférence idéale des Grecs ? Mais nous n’avons pas la même manière qu’eux de comprendre l’humanité. D’ailleurs, la vérité historique n’est pas incompatible avec la vérité morale : c’est en les unissant étroitement l’une à l’autre, comme nous pouvons le faire, que nous donnerons à nos œuvres la vérité d’aspect en même temps que la profondeur, grâce auxquelles elles résisteront à toutes les analyses.

Le style n’est pas en ce moment plus en faveur que l’histoire. Nous n’entendons pas dire par là que l’on s’occupe moins de sujets empruntés à l’antiquité ; nous voulons seulement remarquer que la manière de voir la nature, de l’adapter à un sujet choisi et de lui donner un caractère nettement tranché, en un mot que les conditions essentielles de l’art souffrent d’un grand délaissement. C’est une erreur de croire que l’on puisse appeler d’un nom qui éveille un ordre d’idées supérieures une imitation quelconque de la réalité. Un corps d’aspect vulgaire ne fera jamais penser à un personnage en dehors du commun. En matière d’art, il n’y a d’autre vérité que celle du sujet. Celle-là seule est nécessaire.

Et maintenant, quelle trace laisserons-nous de notre passage ? A quels signes reconnaîtra-t-on nos œuvres ? C’est encore un point de vue auquel l’observateur est conduit à se placer. Arriver à une claire connaissance de soi-même est assurément fort difficile. Mais il y a des tendances qu’on peut louer sûrement, comme il y a des erreurs manifestes et d’un caractère éternel qu’il faut toujours blâmer. C’est une autre partie de la tâche que nous essaierons de remplir sans trop y insister.


La sculpture nous offre cette année plusieurs ouvrages remarquables. Est-il vrai, comme on le dit, qu’elle soit supérieure à la peinture ? Ce serait à examiner. Mais nous ne savons s’il y aurait quelque avantage à le faire : la comparaison ne serait nécessaire que si les parties que l’on met ainsi en présence devaient en tirer un profit certain. Ce qu’il importe de répéter, c’est que la peinture et la sculpture disposent de moyens très différens. Elles n’ont pas les mêmes ressources : elles sont inégalement appréciées. La première est en faveur et, quoi qu’on dise d’elle, reçoit du public la plus grande somme d’encouragemens. La seconde excite un sentiment de sympathie ; mais on la laisse davantage à elle-même.