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nationale. C’est à quoi Cavour ne pouvait se prêter. Il laissa les chemises rouges accomplir leurs prouesses, passer le détroit, s’emparer de Naples. Puis il représenta à l’Europe la nécessité fâcheuse ou il se trouvait, que c’en était fait de l’ordre public et de tous les principes conservateurs s’il permettait à la révolution triomphante de monter au Capitole ou de s’installer au Quirinal. « Nous marchons sur Naples avec quarante mille hommes, télégraphiait le général Cialdini à l’empereur Napoléon III, pour y combattre la révolution personnifiée dans Garibaldi. » En même temps, on s’efforçait de persuader au chef des chemises rouges qu’il était mal en point, qu’il ne se tirerait pas d’affaire tout seul, qu’on allait à son secours, qu’on lui prêterait main forte. En effet, le hardi vainqueur se trouva en présence d’une armée italienne qui, sous prétexte de le protéger, lui barrait le passage. « Dans les temps difficiles, écrivait-il plus tard, les partisans de la maison de Savoie, pleins de bravoure quand il s’agissait d’intriguer, d’ourdir toute sorte de trames, de corrompre les serviteurs peu fidèles des Bourbons, s’étaient bien gardés de prendre part à la glorieuse expédition. Mais l’entreprise était en bonne voie ; ils s’empressèrent de se déclarer nos protecteurs et poussèrent même leur fureur de protection jusqu’au point de nous envoyer deux compagnies de l’armée sarde le 2 octobre, c’est-à-dire le lendemain de la bataille du Vulturne… Ah ! messieurs les libérateurs à grande livrée, ajoutait-il, vous aimez les morceaux tout préparés ! » Il ne s’y était pas trompé, il savait « que l’armée libératrice de Cavour, après les bruyans exploits d’Ancône et de Castelfidardo, se proposait de partager le coquillage, de donner une écaille et un coup de bâton à chacun des plaideurs et de manger l’huître à leur barbe. » Dans cette rencontre, il sut prendre son parti, il offrit galamment au roi de Piémont l’huître tout entière, en le proclamant roi d’Italie, et il s’en alla cacher son dépit à Caprera. Mais il ne pardonna jamais à Cavour, il ne manqua aucune occasion de lui témoigner ses ressentimens, et la violence de la scène qu’il lui fit dans la séance du parlement du 18 avril 1861 hâta la fin du grand ministre, qui était peut-être plus sanguin, plus passionné, moins maître de ses impressions qu’on ne le prétend.

Les visionnaires devraient mourir jeunes, dans la fleur de leurs années, dans la fraîcheur de leurs espérances, avant que la fortune se lasse de leur être indulgente, de sourire à leur chimère. Une folie en cheveux gris, une folie qui résiste à l’expérience et se refuse au repentir, ne trouve jamais grâce devant la destinée ; tôt ou tard elle expie durement son impénitence. La vie a ses lois, et les fous ont beau s’en plaindre, le dernier mot reste au bon sens. Garibaldi s’était mis en tête que rien n’était fait tant que Rome n’appartenait pas à l’Italie, et il avait juré sur son épée qu’il la lui donnerait par un coup de main.