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de l’Angleterre, en dehors de toute délibération de l’Europe, de toute intervention de la Turquie, — et, au dernier moment, il se trouve que tout ce qu’on a poursuivi s’évanouit en fumée. On est obligé de revenir à ce qu’on ne voulait pas admettre, à une délibération de l’Europe réunie à l’heure qu’il est en conférence à Constantinople, même à une intervention éventuelle de la Turquie, et la France reste, non pas seule si l’on veut, puisqu’elle délibère avec les autres puissances à Constantinople, mais évincée de tous ses vœux, de ses ambitions, réduite à se dégager de son mieux d’une diplomatie compromettante. C’est là ce qui est apparu au moment où cette crise récente s’est précipitée, où la lumière s’est faite sur la marche des événemens et des négociations, sur le jeu de toutes les politiques. On a été pour ainsi dire surpris et saisi de voir comment la France se trouvait encore une fois placée dans cette pénible alternative d’avouer un mécompte, de battre prudemment en retraite, ou d’aller jusqu’à des aventures.

La faute en est évidemment à ceux qui depuis quelques années, par inexpérience ou par entraînement de parti, ont voulu chercher un rôle ou une diversion dans les affaires extérieures. Ils ont cru populariser la république par une action plus décidée. Ils ne se sont pas souvenus que, pour longtemps peut-être, la France n’avait rien de mieux à faire que de s’en tenir à ce qu’on a appelé la politique de recueillement et de réserve. C’est la politique qu’elle a suivie pendant les premières années après ses désastres, jusque vers 1877, et c’est vraisemblablement par cette prudente réserve qu’elle a échappé en certains momens aux plus graves périls, qu’elle a pu notamment traverser sans sombrer la redoutable crise de 1875. En réalité, tout l’art de notre diplomatie nouvelle devait consister à s’agiter le moins possible, à représenter la France avec une dignité simple, à étudier les mouvemens de la politique universelle sans s’y mêler, à pratiquer l’abstention avec profit, et elle aurait réussi, surtout si elle avait pu parler au nom d’une France pacifiée et réorganisée, au nom d’une république assez bien inspirée, assez forte pour se garantir elle-même des passions et des agitations de partis. Savoir attendre sans affectation, ne rien brusquer, ne rien compromettre dans des interventions inutiles ou prématurées, c’était le meilleur moyen de refaire par degrés le crédit du pays, de donner du prix à notre alliance. C’était, à ce qu’il paraît, trop modeste. On a commencé à sortir de la réserve peu après l’avènement définitif des républicains au pouvoir. On a cédé à la tentation de figurer au congrès de Berlin, et depuis ce moment, sous prétexte de poursuivre l’exécution du traité de 1878, on s’est trouvé entraîné dans cette série de négociations et de démonstrations dont les Turcs ont dû toujours payer les frais. À parler franchement, quel avantage y avait-il à entrer dans un congrès pour sanctionner le démembrement d’un empire au profit de la force victorieuse et de