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il brillait dans l’auréole de son apothéose comme un astre vers lequel tout chef d’état devait tourner les yeux. Sarrans jeune avait subi l’enthousiasme qui, sous la restauration, sous la monarchie d’Orléans, avait saisi les esprits libéraux et dont Béranger, Victor Hugo, Edgard Quinet furent la plus haute expression ; il avait poussé, le culte du souvenir impérial jusqu’à donner asile au prince Louis-Napoléon dans les voyages mystérieux que celui-ci faisait fréquemment à Paris. Après le coup d’état du 2 décembre, l’histoire se retourna d’elle-même ; pour être désagréable au neveu, on déclara que l’oncle avait une réputation « surfaite ; » le dieu de la guerre devint un aventurier qui avait eu de « la chance, » et, l’on fit de gros volumes pour démontrer qu’il ne savait ni préparer, ni commander une bataille. Il en est ainsi dans notre pays, où la vérité historique doit se prêter aux déviations de la politique. Sarrans jeune restait avec son livre en portefeuille ; nul éditeur ne le lui demandait, et lui-même peut-être ne se souciait guère de le publier, depuis que Napoléon Ier n’était plus « à la mode, » à cause de Napoléon III ; mais il mettait parfois le manuscrit sous son bras et s’en allait faire des lectures dans des maisons amies. Un jour, il vint me voir et il me demanda de me rendre, à un soir indiqué, chez Lamartine, où il devait lire un chapitre relatif à la retraite de Russie. J’acceptai. Jamais je n’avais eu occasion d’approcher du « chantre d’Elvire ; » je l’avais aperçu pendant les « journées de 1848 au ministère des affaires étrangères, où j’étais souvent de garde ; je l’avais vu le 15 mai, à la tribune, ressaisissant le pouvoir et accablant de sa protection Ledru-Rollin, dont l’attitude faisait pitié. J’avais de l’admiration pour le poète ; le prosateur me semblait peu remarquable, de phrase molle et de style indécis : quant à l’homme politique, je sentais en lui un ambitieux blessé, sans ligne de conduite déterminée, se titrant d’un mauvais pas avec des métaphores, plus rêveur que pratique, s’enivrant de son éloquence et peu capable de présider aux destinées d’un grand pays. La souscription qu’il avait provoquée en sa faveur, les lettres autographiées qu’il expédiait à tort et à travers, les larmes qu’il versait volontiers sur les chenets de ses pères, ses mains tendues et sa voix suppliante étaient déplaisantes ; il s’amoindrissait et manquait à sa gloire. Sa misère, — relative, — était indépendante de son talent, de son rôle, des fonctions publiques qu’il avait exercées ; il avait simplement mal géré ses propriétés et fait des spéculations maladroites. Il avait la prétention d’être un homme d’affaires de haute visée ; mais il s’était trompé dans ses calculs et avait gaspillé sa fortune. Cela nuisait à l’intérêt qu’on aimait à lui porter et à la reconnaissance que l’on gardait à l’homme qui, le 26 février, le 16 mars, le 17 avril, le 15 mai, avait courageusement lutté contre la révolution que,