Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De quelle sagesse et de quelle prévoyance toutes ces dispositions sont empreintes ! Ce roi, qui pouvait dire à ses soldats, dans le plus magnifique langage qui soit jamais sorti de la bouche d’un souverain : « J’ai conquis le monde et je vous l’ai donné ! » avait-il donc eu si grand tort de garder pour lui seul la pourpre et le diadème ? C’était là son lot ; il dédaigna toujours de s’en réserver d’autre. De quel front, en effet, eût-il osé rappeler à ses vétérans mutinés la simplicité de sa vie, la modération de ses goûts, s’il se fût livré aux orgies que, par une contradiction singulière, lui reprochent les historiens mêmes qui nous le montrent haranguant ses troupes et leur disant, avec la noble assurance d’un détachement auquel il eût été si facile de refuser, en cas d’imposture, témoignage : « Je ne dépense rien pour moi ; ma couche et ma nourriture sont les vôtres ; si quelqu’un dans le camp se distingue par la recherche de mets délicats, ce n’est pas moi, ce sont vos officiers ; si quelqu’un veille quand l’armée repose, c’est votre général et votre roi. »

On n’est pas justicier sans péril : les rigueurs d’Alexandre ont coûté cher à sa réputation. Ceux mêmes qu’il ne menaçait pas, mais dont la conscience s’alarmait à bon droit, se rangèrent, dès le jour où Philotas et Parménion furent frappés, parmi les détracteurs d’un maître si cruel au parjure. La trahison d’Harpalus, entre autres, est restée célèbre. Nous avons raconté comment Alexandre, à peine monté sur le trône, s’empressa de rappeler de l’exil les amis qui, du vivant de son père, avaient partagé sa disgrâce ; nous avons dit quels emplois importans il leur confia : qui croirait que, parmi ces hommes, dont plus d’un venait de jouer résolument sa vie pour frayer au fils de Philippe le chemin du trône, il se rencontra, dès le début de l’expédition d’Asie, de nombreux conjurés disposés à vendre leur ami et leur maître à Darius ! Le royaume de Macédoine et mille talens d’or devaient payer ce service signalé au commandant de la cavalerie, thessalienne. D’obscures trahisons ne pouvaient sans doute se flatter d’obtenir un si haut prix ; cependant, à la veille de la bataille d’Issus, on vit un des dévoûmens les plus éprouvés se démentir soudain avec une audace et une impudence que rien n’aurait pu faire jusqu’alors pressentir. Dans la distribution générale des emplois, Harpalus, fils de Machate, avait eu pour sa part l’administration et la garde du trésor royal. « Les conseils d’un homme pervers, » dit Arrien, l’entraînèrent, pendant que l’armée occupait la Cilicie, dans un de ces projets de défection si communs à cette époque où l’or du successeur d’Ochus faisait chanceler les fidélités les plus à l’abri du soupçon, que l’histoire s’est lassée de les enregistrer ; elle a négligé les complots dans lesquels, ne figuraient que des personnages secondaires. Ni Arrien, ni Diodore de Sicile, ni Quinte Curce