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un homme de guerre : s’il trahissait, le péril serait avec lui moins grand qu’avec tout autre.

Tant qu’Alexandre n’eut pas franchi l’Indus, les mandataires qu’il avait choisis n’osèrent trop se hasarder à provoquer par leurs malversations son courroux ; mais le jour où ils perdirent en quelque sorte la grande armée de vue, le jour où la témérité d’une expédition à laquelle il était impossible d’assigner une limite leur fit mettre en doute le retour du roi, ils se sentirent sur-le-champ débarrassés de tout frein, Harpalus fut des premiers à se distinguer par ses désordres : l’Asie n’avait jamais assisté à de telles profusions ; les flemmes perses et les courtisanes athéniennes purent puiser à pleines mains dans le trésor d’Ecbatane. Harpalus cependant n’était pas tellement rassuré qu’il ne songeât à se ménager un refuge en Grèce ; ses libéralités s’adressèrent à tout ce qui avait la réputation de pouvoir y exercer quelque influence, l’arrivée d’Alexandre à Suse, l’exécution de plusieurs satrapes le frappèrent de terreur ; il ne vit plus de salut que dans la fuite. Prenant à sa solde six mille mercenaires, il chargea sur des chameaux 5,000 talens d’argent, — près de 28 millions de francs, — et, sans perdre un instant, se mit en route pour l’Attique. Avant qu’Alexandre eût pu donner des ordres pour le faire intercepter en chemin, il avait quitté d’Asie et venait se présenter en suppliant devant le peuple d’Athènes. Antipater et Olympias ne furent pas plus tôt informés de cette audacieuse démarche qu’ils réclamèrent l’extradition d’Harpalus. La voix du vainqueur de Mégalopolis eut plus d’effet sur le peuple athénien que toutes les arguties des orateurs séduits par l’or du fugitif. L’infidèle trésorier n’eut que le temps de s’échapper d’une ville où il n’était plus en sûreté : il alla rejoindre près du promontoire de Ténare, en Laconie, les mercenaires qu’il y avait laissés et s’empressa de passer en Crète. Il espérait se créer un parti dans cette île et y rassembler, à d’aide de ses trésors, une véritable armée. Thimbron, un de ses amis, me crut pouvoir mieux faire que de s’inspirer de son exemple : il mit fin du même coup à ses intrigues et à ses terreurs en l’assassinant.

Alexandre n’avait pas ignoré les hésitations du peuple d’Athènes : il sentait toujours au sein de cette cité frondeuse une opposition sourde que la moindre occasion pouvait faire éclater. Il ne vit qu’un moyen de changer le cours des esprits : ce fut d’ordonner le rappel de tous les citoyens exilés. On sait qu’à cette époque, chaque cité grecque comptait presque autant de bannis que d’habitans, le parti victorieux ne manquant jamais de sceller sa victoire par la proscription en masse de la faction vaincue. L’édit royal fut solennellement proclamé à Olympie pendant qu’on y célébrait les jeux