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Quand on me dit que des gouvernemens sont tombés parce qu’ils ont ainsi respecté les droits des citoyens, ou du moins parce qu’ils ont été très timides, très réservés, très modérés dans l’application de nos lois, je me demande s’il n’en est pas d’autres qui sont tombés pour avoir eu le défaut absolument contraire. Si l’on craint d’imiter les exemples de la restauration et du gouvernement de juillet, j’engagerais fort à ne pas imiter la convention, le directoire et le premier empire qui n’ont jamais été arrêtés par les mêmes scrupules, et l’histoire jugera s’il revient moins d’honneur aux gouvernemens qui sont tombés parce qu’ils ont apporté quelques tempéramens à l’exécution des lois, qu’à ceux qui sont tombés après avoir outrageusement violé toutes les lois et méconnu tous les droits des citoyens.


Il y avait six ans que M. Dufaure était sur la brèche, défendant à toute heure le droit et la liberté. Tous ceux qui suivaient avec un ardent intérêt les progrès de l’esprit de contrôle, qui espéraient soit la transformation de la constitution de 1852, soit, si elle était impossible, la chute de l’empire, désiraient également que M. Dufaure consentît à entrer au corps législatif. En 1863, on ne parvint qu’à la dernière heure à vaincre ses répugnances, et il fut le seul à se sentir heureux et comme délivré par son échec.

Mais ses amis qui luttaient au corps législatif ne s’accommodaient pas de son absence, et, lorsque une vacance se produisit en 1868 dans le Var, ils se servirent de tous les moyens pour triompher de ses hésitations : il s’agissait de représenter Toulon, et les souvenirs de la grande enquête sur la marine se joignant à l’intérêt public contribuèrent à le déterminer à une nouvelle campagne. Certes, il fallait que ses anxiétés patriotiques fussent bien profondes pour qu’on obtînt de lui ce sacrifice. En quelques jours, la presse ne retentit de Strasbourg à Bayonne et du Havre à Marseille que du bruit de la lutte engagée entre M. Dufaure et un candidat officiel inconnu. La France se divisa en deux camps : aux libéraux de toute nuance faisant des vœux, avec M. Thiers, pour que le nouveau député apportât à l’opposition « le secours de sa voix puissante et vénérée, » répondaient les partisans de l’empire ; mais leur nombre n’eût pas suffi à assurer l’échec de M. Dufaure. Il se fit une alliance, ou plutôt une rencontre étrange. Contre l’ancien ministre du général Cavaignac, se dressèrent ceux qui se glorifiaient des souvenirs de l’insurrection de juin 1848. M. Dufaure était un bourgeois et un clérical, il portait la livrée officieuse ; il n’était pas démocrate et méritait l’animadversion du peuple. Delescluze dans le Réveil, Duportal à Toulouse, d’autres à Marseille, tous ceux qui regrettaient et rêvaient l’anarchie, jouèrent le jeu de l’empire, en répétant que l’élection de M. Dufaure serait un malheur public. La préfecture du Var fit