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l’autre. Dans cette rue se succèdent des boutiques, d’admirables mosquées, de vieux palais en ruines, des fontaines, des échoppes, puis un minaret et de longs murs qui tombent. Aujourd’hui nous parcourons rapidement les différens bazars. Ici, ce sont les étalages de cuivre, casseroles, cafetières, reluisant au soleil, rouges, jaunes, éclatantes, constamment fourbies par un majestueux vieillard. Un peu plus loin, le bazar des pantoufles où, de chaque côté, plus jaunes et plus rouges encore, les maroquins étincelans piquent de taches ardentes le sombre couloir. Tournant le coin où des brodeurs, courbés sur une pièce de vêtement, tirent rapidement l’aiguille à travers la soutache d’or, nous sommes dans la cour légendaire d’Abdullah, le marchand de tapis. Je reconnais, pour l’avoir vu vingt fois reproduit, ce merveilleux coin de couleur, si cher aux peintres qui sont venus au Caire. Que dis-je, reproduit ? Aucun pinceau peut-il rendre cette cour à demi couverte de nattes, de pièces d’étoffes accrochées sur des poutres démantelées, laissant filtrer un rayon poudreux, mais qui darde tout juste sur les tapis que nous montre le vieux patron ? Tout autour, des piles, des montagnes de ces tapis de tous pays : les fins veloutés de Perse, les rayés de Tunis ou du Kourdistan, les petits carrés de prière de Smyrne ou de Bokhara. Puis des ballots de bissacs de chameaux, se déroulant en taches d’un rouge sombre, d’un bleu amorti ; et cette lumière chaude, riche, frappant d’en haut, ici tamisée par un treillage, plus loin ardente, vive, va éclairer violemment une longue bande bigarrée, déployée par un nègre au turban blanc et un Arabe en robe vert pistache. Le vieil Abdullah, grave et d’apparence austère, mais l’œil allumé par la visite de nouvelles pratiques, nous fait fuir avec ses prix exorbitans. Nous continuons dans le passage couvert entre les échoppes des marchands de Constantinople. Ici, les gilets de velours brodés alternent avec les coussins et les brimborions de clinquant, d’un goût douteux. Passons vite et arrivons au bazar persan, galerie plus spacieuse que les autres. Le vieux Mirza, dont le magasin est le mieux orné, nous arrête au passage. Notre aimable guide nous présente, et il me semble faire la connaissance de quelque grand vizir. Il nous fait asseoir, nous offre du thé persan exquis, fort sucré et parfumé, dans des tasses de cristal. Lui-même est un beau spécimen de sa race. Dans ce riche cadre de tentures, d’armes aux formes bizarres, de porcelaines, de pierreries étincelantes, d’objets d’or et d’argent, vêtu d’une robe de soie vert tendre, les cheveux et la barbe teints de henné d’un bel acajou, les yeux peints d’antimoine, il est encore splendide et ne paraît pas son âge.

Je succombe à sa séduction et lui achète des turquoises. Il me jure sur son père, sur sa barbe, sur beaucoup d’autres choses encore, qu’elles ne changeront pas de couleur, et je les emporte