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suivre, aux premières heures de l’aube, d’un pas rapide et encore ferme, les files serrées des gardes nationaux ; puis, à la dernière halte, lorsque sonnait le départ, s’il s’approchait d’un jeune chef de bataillon, d’un sergent plus jeune encore, s’il prenait congé d’eux, c’était sans un autre vœu qu’un viril encouragement au devoir. Après avoir donné ainsi tout ce qu’il aimait, il traversait Paris sans se ralentir, ne songeant qu’au succès du drapeau et aux moyens de prolonger la résistance pour sauver l’honneur. Il était de ceux qui accomplissent sans bruit et font simplement les plus grandes choses. Son âge l’aurait dispensé de tout. Qui se fût étonné de le voir attendre les événemens, entouré des siens, en son logis de Vizelle ? Il n’en eut pas un seul instant la pensée. Pour lui-même, il chercha des devoirs ; on l’avait nommé président du conseil supérieur de révision de la garde nationale, sorte de cour de cassation des conseils de guerre, dont la jurisprudence apparut, dès ses premiers arrêts, si vigoureuse et si éclairée qu’en quelques semaines elle fut fixée dans ses principaux points. À ce travail il ajouta d’autres soins ; il consacrait une part de son temps aux diverses œuvres et surtout à l’ambulance fondée dans le quartier de Saint-Augustin par un pasteur dont il admirait la charité inépuisable, puis il se rendait au conseil de l’ordre des avocats. Enfin, il ne manquait pas une des séances de l’Académie, qu’enflammait au milieu de nos douleurs le plus ardent patriotisme ; il allait y puiser de nouvelles forces et il aimait à s’asseoir auprès de celui de ses confrères qui, dans cette Revue même, contribuait si efficacement à soutenir les cœurs.

Le jour arrivait où, la guerre terminée, il faudrait songer à créer un gouvernement. Étant de ceux qui n’avaient jamais eu « aucune confiance dans la durée du pouvoir accidentel qui gouvernait la France, » M. Dufaure, ainsi que ses amis, avait souvent sondé l’avenir pour deviner quel serait l’héritier de l’empire. Il n’était pas pris à l’improviste. Ministre sous un roi et sous une république, il avait vu et comparé les deux régimes ; jamais il n’était sorti de sa bouche un mot qui impliquât une condamnation de la monarchie constitutionnelle ni une adhésion de principe à la forme républicaine. Il était libre de tout engagement comme de toute répulsion. Il est plus d’un homme d’état qui, de bonne heure sous l’empire, en étudiant la nature du suffrage universel, en sentant que le gouvernement forçait tous les ressorts et faisait perdre aux citoyens le sentiment de la mesure, qui est une des conditions des monarchies pondérées, s’était demandé si, dans l’avenir, la France pourrait connaître un autre régime que la république ou le despotisme et si jamais elle se reposerait à l’abri d’un trône constitutionnel.

M. Dufaure, qui s’était si souvent et si intimement épanché avec