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dans laquelle il devait marcher, en fondant un gouvernement « également hostile aux doctrines, aux violences, aux expédiens révolutionnaires du despotisme ou de la démagogie, assurant l’ordre, maintenant le constant et inaltérable respect des lois et se prêtant au développement de toutes les libertés qui font la dignité d’un citoyen et l’honneur d’un peuple, » au premier rang desquelles il inscrivait la liberté de conscience. Au bas de ce programme se rencontraient les noms de M. Vitet comme de M. Léon Say, de M. Augustin Cochin comme de M. de Pressensé. La bourgeoisie parisienne le signait comme le testament du siège et le fruit « de concorde et de confiance que de rudes épreuves supportées ensemble nous avaient fait depuis plusieurs mois apprécier et chérir. » Elle devinait ce jour-là, sans l’avoir trouvée, la formule de la république conservatrice telle que M. Thiers devait la définir.

En arrivant à Bordeaux, où il apprenait que cinq départemens l’avaient élu, M. Dufaure ne fut pas ébranlé par le spectacle des ardeurs légitimistes ; le besoin de réagir contre le double despotisme de l’empire et de la guerre à outrance n’expliquait que trop bien la première impression de la France demandant à des hommes d’honneur de lui rendre la paix. D’ailleurs il y avait un nom qui sortait le premier de l’urne électorale, que vingt-sept départemens avaient acclamé, qu’appelaient tous les partis et qui seul semblait capable de porter le poids des affaires. M. Dufaure était parti de Paris, persuadé que M. Thiers devait être mis à la tête du gouvernement. Le 16 février, quatre jours après la constitution de l’assemblée, il déposait, avec MM. Grévy, Vitet, Léon de Maleville, Rivet, de la Redorte et Barthélémy Saint-Hilaire, une proposition qui tendait au choix immédiat de M. Thiers, comme « chef du pouvoir exécutif de la république française. »

Le 17, l’assemblée nationale acceptait cette proposition, et le lendemain, M. Thiers, choisissant ses ministres, confiait à M. Dufaure le portefeuille de la justice.

La tâche du nouveau garde des sceaux, comme celle de ses collègues, était terrible. Ce n’est pas le moment de redire les prodigieux labeurs auxquels il fallut se vouer et les responsabilités que sut assumer le patriotisme de tous ceux qui, ministres ou députés, aidèrent M. Thiers dans sa vaillante entreprise. Au milieu des efforts accomplis pour relever notre pays, il y eut une action collective, dans laquelle tous les collègues de M. Thiers ont eu leur part de sacrifice et d’honneur ; mais, dans chaque département ministériel, il est facile de retrouver une œuvre spéciale de relèvement qui appartient moins au gouvernement qu’à tel de ses collaborateurs. En cette heure de désarroi universel où M. Dufaure prenait les