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bonté incréée. — Les platoniciens répondent : « La bonté infinie existe en soi, sinon en nous. » Mais une bonté vraiment infinie ne peut réaliser en soi tout le bien possible que si elle le réalise aussi au dehors : quand il s’agit de bonté absolument infinie sous tous les rapports, les bornes extérieures sont aussi contradictoires que les bornes intérieures, sans compter que la distinction de l’extérieur et de l’intérieur, appliquée à l’infini, est inintelligible. La bonté n’est parfaite que si elle se donne parfaitement sans obstacle et est parfaitement possédée. La puissance transitive est ici la condition de la puissance intérieure. — Mais, ajoutent les platoniciens, le sentiment et l’amour de la partie impliquent le sentiment et l’amour du tout, c’est-à-dire du bien infini. — Encore ici, il y a confusion et contradiction. On confond un tout idéal avec un tout réel, le terme non encore atteint et simplement conçu auquel tend le désir avec le principe initial d’où il dérive. De plus, en réalisant ainsi le bien total, on se contredit ; car il est au fond contradictoire de posséder incomplètement le bien complet, d’être uni d’une manière finie à un objet infini.

A ceux qui, pour ces raisons, considèrent la fin suprême du désir comme un pur idéal, M. Ravaisson objecte que l’idéal ne pourrait mouvoir l’homme et la nature entière s’il n’avait lui-même de réalité que « dans la pensée de l’homme. » Selon nous, c’est là poser la question de manière à y introduire gratuitement une pétition de principe, qu’on reproche ensuite à ses adversaires. La question doit être présentée de la manière suivante : — Est-ce le désir qui suppose un idéal préconçu, une fin préexistante dans une intelligence, ou n’est-ce pas au contraire l’idéal qui présuppose le désir dont il ne serait que l’extrait ou le dérivé, la formule abstraite, l’expression dans la langue de l’intelligence ? En un mot, l’idéal est-il créateur, ou est-il une création des êtres pensans ? — Ce qu’on nomme l’idéal, esthétique ou moral, n’est eu dernière analyse que la conception tout humaine d’une puissance, d’une science, d’un bonheur auxquels on ne pourrait plus rien ajouter, conséquemment d’un bonheur non égoïste, où le bien de chacun serait réconcilié avec le bien de tous, conséquemment encore d’un amour universel et universellement satisfait. Or, en ce sens, il n’est nullement nécessaire que l’idéal préexiste : c’est lui, au contraire, qui n’est que le prolongement par la pensée de la félicité présente dans l’avenir, et du bonheur individuel dans l’universalité des êtres. Tel un jet de lumière, sortant d’un foyer déjà ardent, étend ses reflets dans le lointain de la nuit : ce n’est pas la sphère lumineuse qui produit le foyer, mais, au contraire, le foyer qui produit la sphère. Le cercle vicieux attribué par M. Ravaisson au naturalisme n’est donc pas réel : les partisans de ce système ne prétendent point