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En face de moi je la vois
Dans son corsage de cretonne,
Toute frêle, toute mignonne,
Et fine jusqu’au bout des doigts.

Elle a douze ans, treize ans à peine
Cette fillette aux cheveux d’or :
Bien plus enfant que femme encor,
Elle a pourtant des airs de reine.

À sa droite, œil clair et front haut,
Mais vieux d’âge et d’inquiétude,
Le père, — quelque homme d’étude, —
Mange et rêve sans dire un mot.

À sa gauche est le petit frère,
Pauvre enfant à l’air attristé,
Celui qui sans doute a coûté
En naissant, la vie à la mère,

Être malingre, au long profil,
À l’œil terne, à la peau de cire,
Un de ceux-là qui vous font dire :
« À quoi le bon Dieu pensa-t-il ? »

Or, sur cette plante chétive,
Éclose par un froid soleil,
Avec un amour sans pareil
Veille la fillette attentive.

Malgré les refus entêtés
De l’enfant injuste et morose,
Elle prodigue en toute chose
Des trésors d’exquises bontés :

De sa main active et fluette
Vitement, le faisant manger ;
Dès qu’il vient à se déranger
Serrant le nœud de sa serviette ;

Pour qu’il y puisse boire mieux
À ses lèvres portant son verre,
Quelquefois, pour le faire taire,
Lui parlant avec de gros yeux…