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traduction est également digne, en effet, et du grand nom que soutient le traducteur, qui fut celui de l’homme qui, dans ce siècle, en France, a peut-être le mieux connu l’Angleterre, ses institutions, son histoire, sa littérature ; et digne aussi de ce grand nom de Macaulay, qui fut celui de l’homme qui. dans le même temps, en Angleterre, et sans beaucoup aimer la France, a manifesté, si je puis ainsi m’exprimer, et par une rencontre qui n’en est que plus piquante, quelques-unes des plus rares qualités de l’esprit anglais sous leur forme la plus française.

Ce n’est pas que nous voulions disputer à l’Angleterre contemporaine un de ses plus illustres citoyens. Anglais, Macaulay le fut assurément, et des pieds à la tête, comme on dit en style familier. Mais ses qualités d’écrivain furent jetées dans le moule que nous appelons classique. Il mit au dehors, dans ses Essais, comme dans sa grande Histoire, l’ordre et la clarté que ses compatriotes, s’ils les ont peut-être dans l’esprit, ne se soucient pas toujours assez, à notre avis, de faire passer jusque dans leurs œuvres. Il tira lui-même des choses les leçons qu’elles contiennent, au lieu de les y laisser enveloppées, comme cet apocalyptique Carlyle, dont l’insupportable affectation est d’épaissir en quelque sorte la nuit dans l’esprit du lecteur pour l’illuminer d’éclairs plus éblouissans et de fulgurations plus aveuglantes. Il connut cet art du développement par les idées générales qu’avaient seuls connu, si je ne me trompe, dans l’histoire de la littérature anglaise, les grands écrivains du siècle de la reine Anne, tous formés à notre école, Pope, Swift, Addison, quelques autres encore, et Burke aussi, peut-être, depuis eux. Il eut enfin cette science de la composition, aussi rare en France, et partout, qu’en Allemagne ou qu’en Angleterre, mais où il est certain que nous attachons plus de prix, et dont nous sommes, je crois, par une plus longue expérience, meilleurs juges que l’Allemand ou l’Anglais, science difficile, de longue acquisition, mais d’importance capitale, qui consiste à trouver pour chaque sujet : le point de perspective d’où la confusion des détails se débrouille et chaque partie concourt, dans la mesure et le degré qu’il faut, à l’effet d’un ensemble unique.

M. Guillaume Guizot se nous en voudra pas si nous disons, qu’à raison de toutes ces qualités de son auteur il n’est pas étonnant que la traduction qu’il nous en a donnée se lise avec autant de facilité, de plaisir et, par conséquent, de profit qu’un recueil d’Essais originaux. Est-ce d’ailleurs, diminuer la part du traducteur ou rabaisser son mérite ? Non sans doute, et plutôt c’est le féliciter du bonheur de son choix. Qui ne sait d’ailleurs qu’il n’est donné de faire valoir les qualités les plus certaines de leur original qu’à bien peu de traducteurs, d’une science trop exacte pour n’être pas très rare, et d’un goût trop exercé pour n’être pas beaucoup moins répandu qu’il ne serait à souhaiter ?