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à vos yeux l’horizon et vous fait vous écrier avec les voix : « Dieu d’Israël ! » Notez que, sur ces douze morceaux composant le chef-d’œuvre, il y en a sept où vous ne rencontrerez pas un seul accord de septième diminuée. Méhul n’emploie les dissonances que dans les cas de force majeure, et lorsqu’il s’agit d’accuser les troubles de l’âme, son style a même des abstentions parfois excessives qui vous rappellent la sainte horreur d’un Stendhal ou d’un Mérimée pour les adjectifs. Ainsi, la romance de Joseph, en sa grâce naïve et candide, ne va point sans un peu d’ennui. Ces couplets répétés trois fois sont d’une monotonie qu’il aurait fallu éviter en variant les jeux d’orchestre, comme l’a fait Herold dans la ballade de Zampa. L’instrumentation ne commence à s’émouvoir qu’à l’arrivée de Siméon, dont Méhul exprime les remords par un trait de basse qui revient sans cesse. Parlerai-je de la proportion des morceaux, de cette phrase musicale toujours en situation, de cet accompagnement qui ménage la voix du chanteur et vous permet de saisir chaque mot ?

Tant de préceptes dont on nous assomme nous sont démontrés là par l’exemple. On nous prêche l’indissoluble union, la totalisation de la musique et du poème ; on nous crie : « Plus de spécialisme, ni de subjectivité, nous voulons l’opéra objectif ! » Eh bien ! mais il me semble que le voilà venu le phénix de vos rêves, ô musiciens sublimes de l’avenir, et c’est le passé qui nous en étrenne et c’est d’un compositeur français qu’il s’agit. Pends-toi, Wagner ! que ceux qui doutent aillent à l’Opéra-Comique, ils en reviendront convaincus. Jamais occasion plus belle ne s’offrit, et pendant qu’ils y seront, je leur conseille de retourner le lendemain pour entendre cette fois les Noces de Figaro. Ces deux soirées suffiront à les édifier et sur les grandeurs d’autrefois et sur le néant d’aujourd’hui. — Sans avoir rien de merveilleux, l’exécution est intéressante. J’avouerai cependant que, pour un des bons élèves que le Conservatoire ait produits, M. Talazac me paraît singulièrement prendre des aises ; il chante son premier air et le récitatif d’introduction comme si c’était une cavatine italienne quelconque, abusant des nuances et des oppositions, distribuant à volonté les antithèses alors qu’on ne lui demanderait que d’être simple, partout inégal, prétentieux, distrait au point d’en oublier son personnage et d’avoir l’air dans la scène du festin de se moquer de ce qu’il joue. En revanche, Mme Bilbaut-Vauchelet est un Benjamin idéal. Vous diriez d’un rôle expressément écrit pour elle. On n’a pas une diction plus naïve à la fois et plus savante. Dans la romance, dans le duo avec Jacob, dans le grand trio, vous ne savez qui admirer davantage de l’actrice ou de la cantatrice ; la voix, l’accent, le geste, le regard, c’est la perfection et l’expression même qui convient à Méhul. Il faut louer aussi les deux autres interprètes du trio, M. Talazac qui tient la partie de Joseph, et cette fois sans défaillance, et M. Cobalet, très remarquable d’élan pathétique dans