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ses lourdeurs, de sa monotonie, inclinant davantage vers la forme mélodique et, par là, se rapprochant de l’idéal transalpin. En ce sens, le mot de Bonaparte touchait juste ; Méhul, continuant de la sorte, devait, en effet, travailler et pour sa propre gloire et pour les plaisirs du public. Cette partition de l’Irato marque donc une date dans sa carrière. Le maître, sans renier aucun de ses principes et sans outrepasser la mesure des concessions, y reconnaît qu’au théâtre il ne faut point vouloir serrer de trop près la vérité et qu’une musique qui manque de charme risque aussi de manquer d’effet. Si l’on considère l’Irato comme une œuvre italienne ou du moins composée dans le sentiment italien, il est évident que Méhul a fait buisson creux ; mais si nous plaçons cette partition parmi les opéras français de l’époque, le thème change. Ce n’est pas dans Cimarosa ni même dans Guglielmi qu’il faut chercher les termes de comparaison ; c’est bien plutôt dans Grétry, dans Dalayrac, et, la question ainsi posée, le fameux quatuor de l’Irato prend tout de suite une valeur quasi-monumentale.

Abordons maintenant Joseph. Là souffle l’esprit d’en haut, l’esprit de simplicité biblique, de grandeur ; nul clinquant sonore, une instrumentation toujours sobre et raisonnée, des effets sublimes obtenus par des moyens restreints et qui, tout bornés qu’ils soient, n’en dénoncent pas moins la science du maître et son expertise. « Devant une pareille musique, je n’admets point d’hésitation, » écrivait l’auteur du Freischütz et d’Euryanthe. Quelle leçon pour la musique de l’avenir et du présent que cette musique du passé ! et comme cette reprise et le succès qui la couronne viennent à souhait ! Le wagnérisme n’enferme rien que la partition de Joseph ne nous démontre ; c’est l’opéra moderne tel qu’on nous le prêche et se manifestant dans son expression la plus rigoureuse. On nous parle de la caractéristique nouvelle, mais regardez à ces personnages du drame de Méhul et dites-nous ce que vous avez inventé depuis. Joseph, Siméon, Benjamin, le vieux Jacob, sont des figures marquées du trait individuel ; l’air de Joseph, sa romance, le désespoir et le repentir de Siméon dans l’ensemble qui suit, le finale, le chœur des Hébreux, la romance de Benjamin, son inquiétude pendant le sommeil de son père, la prière de Jacob, le trouble de Joseph dans le trio, son émotion à la vue de ses frères, la plainte de Jacob regrettant la perte de son fils, la pompe du second finale, le duo de Jacob et de Benjamin, la colère du vieillard dans la scène de l’aveu, l’intervention de Joseph amenant le pardon et l’apaisement final ; j’ai nommé là douze morceaux, — douze, entendez-vous bien, alors que la moindre opérette en contient aujourd’hui plus de vingt, — et dans ce rapide espace, que de sentimens rendus à fond, de types reproduits, de vraie humanité prise sur le vif, de passions remuées, d’images entrevues, jusqu’au paysage, dont le chœur du second acte, — antique et solennel comme le péristyle d’Athalie, — semble ouvrir