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transactions ont été plus ou moins ouvertement violés. Les étrangers, qui avaient jusqu’ici joui d’une sécurité complète et qui ont fait la richesse de la vice-royauté par leur travail, par leur industrie, n’ont plus eu bientôt d’autre ressource que de s’enfuir. Ils abandonnent en masse cette contrée, où ils ne se sentent plus suffisamment protégés. Voilà à quoi ont abouti ces quelques mois de révolution et de dictature soldatesque ! Le seul malheur est qu’on ait trop tergiversé, qu’on se soit amusé à des négociations évasives et à des consultations sans résultat. On aurait pu vraisemblablement, avec quelque résolution, arrêter ou atténuer au début cette étrange crise. Avec le système incertain et traînant qui a été suivi par les puissances les plus intéressées, on n’a réussi qu’à laisser aux événemens le temps de s’aggraver. Aujourd’hui le mal est fait, et il est d’autant plus dangereux que, pour le réparer, pour reconstituer une situation à peu près régulière à Alexandrie, on en est encore, pour le moment, à la confusion des conseils et des langues, Tout le monde est bien d’accord pour la forme, au moins en apparence, sur la nécessité de prendre des mesures de sauvegarde ; la difficulté est de préciser ces mesures, de savoir ce qu’on veut faire, qui sera d’abord chargé d’aller remettre l’ordre en Égypte.

La conférence, réunie depuis quinze jours déjà à Constantinople avec la mission expresse de formuler les volontés ou les vœux de l’Europe, réussira-t-elle à s’entendre sur ces mesures, à trouver une combinaison réalisable, suffisamment efficace ? Tout dépend sans doute des dispositions ou des préoccupations avec lesquelles les diverses puissances sont entrées dans cette délibération nouvelle. Dans tous les cas, il a été d’abord admis sans contestation que la question égyptienne était la seule dont il y eût à s’occuper et qu’aucun des gouvernemens ne devait poursuivre des avantages spéciaux. C’est ce qu’on a appelé le protocole de désintéressement. C’était entendu d’avance ; jusque-là rien de plus simple. L’embarras a commencé lorsqu’il a fallu aborder les points vifs de la situation, se prononcer sur le principe d’une intervention aussi bien que sur les conditions dans lesquelles l’intervention s’accomplirait. L’embarras était d’autant plus grand que la Porte est restée en dehors de la conférence, qu’elle a tour jours protesté contre l’immixtion de la diplomatie, qu’elle n’a cessé de se prévaloir de ses droits de souveraineté et que, jusqu’à ces derniers jours, elle s’est même étudiée à représenter les affaires d’Égypte comme réglées par la mission qu’elle avait donnée à Dervisch-Pacha. Le principe de l’intervention en Égypte une fois admis, malgré la Porte et en son absence, devait-on persister à charger les Turcs d’aller porter la paix sur les bords du Nil ? A quel titre et avec quel caractère rempliraient-ils cette mission ? Agiraient-ils simplement au nom de la souveraineté ottomane ou bien iraient-ils à Alexandrie comme les exécuteurs des volontés de l’Europe avec un mandat déterminé ? Quel serait