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enfin, en dehors du strict rétablissement de l’ordre matériel, l’objet de l’intervention ? Il y avait encore une question à examiner : dans le cas où la Porte refuserait décidément le mandat qui lui serait offert, la mission du rétablissement de la paix sur les bords du Nil serait-elle confiée à une des puissances européennes ou à plusieurs puissances ? C’est l’ambassadeur de la reine Victoria, lord Dufferin, qui paraît avoir ouvert ces débats, où les correspondans anglais assurent que notre représentant, M. le marquis de Noailles, s’est distingué par son esprit de ressource autant que par la pressante et courtoise habileté de son langage. Malheureusement les conférences ont une habitude qui ne date pas d’aujourd’hui : elles se hâtent lentement, et, tandis que les diplomates de Constantinople se prononçaient d’abord pour l’intervention turque, tandis qu’ils communiquaient ce qu’ils avaient décidé à leurs gouvernemens, tandis qu’on en est encore à savoir si la Porte accepte ce qu’on lui offre, les événemens ont marché plus vite que les délibérations. Les Anglais ont ouvert le feu de leurs canons contre les forts d’Alexandrie. Il est évident d’ailleurs que le gouvernement britannique, avant d’accomplir cet acte de vigueur, a dû en informer les autres cabinets et qu’il n’a point entendu se mettre en dehors du programme de la conférence. Il a voulu simplement prouver que, s’il restait d’accord avec l’Europe sur les conditions générales, essentielles du règlement des affaires égyptiennes, il se réservait aussi, au besoin, un rôle spécial de protection pour ses intérêts. La France, sans avoir participé au bombardement d’Alexandrie, entend vraisemblablement, elle aussi, il faut le croire, réserver ses intérêts et ses droits.

Au fond, c’est là toute la question ou, si l’on veut, le point délicat de la question. Assurément l’Europe a toute sorte de titres pour avoir une opinion sur une affaire qui touche de si près à l’état de l’Orient, c’est-à-dire à l’équilibre du monde. Elle est intéressée à avoir la paix sur le Nil pour avoir la paix sur le Bosphore, pour avoir aussi la paix au centre du continent, Le point de départ de ses délibérations d’aujourd’hui, le maintien de ce qui a été créé en Égypte par une série d’actes diplomatiques, de firmans du sultan, est un intérêt commun, universel, parce que c’est l’intérêt de la paix, et, en ce sens, elle a le droit d’appeler la question égyptienne une fois de plus devant son tribunal. Ce qu’elle aura décidé à Constantinople ne peut qu’être exécuté, ut rien ne sera fait qu’avec son approbation ou avec sa tolérance ; mais il est bien clair que, si la compétence de l’Europe est souveraine et incontestée, il y a des puissances qui, par leurs traditions, par leurs intérêts, ont un rôle plus spécial, plus caractérisé, et c’est peut-être parce que ces puissances l’ont oublié que ces complications égyptiennes sont arrivées au point où elles sont aujourd’hui. Il n’est point douteux qu’à un moment opportun, l’alliance de l’Angleterre et de