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la France aurait pu tout décider ; elle a été sans efficacité parce que, depuis quelques mois, elle a toujours été flottante et indécise, plus apparente que réelle. Elle a été toute en paroles, elle n’est jamais arrivée à se nouer sérieusement. On dirait, à la suivre dans les actes diplomatiques, que lorsqu’un des deux gouvernemens fait un pas en avant, l’autre se hâte de reculer ou reste immobile. Si une proposition vient de Paris, elle se croise avec quelque autre proposition partant de Londres, et tout finit par des demi-mesures, par des actes sans portée, par des démonstrations sans résultat. Les deux gouvernemens ne paraissent s’être bien entendus que pour en venir à se dégager par une série de faux-fuyans de la responsabilité d’une question qui était cependant leur affaire. Il n’y a point eu rupture comme en 1840 ; il y a eu une sorte d’entente formée sans précision, continuée sans résolution.

L’Angleterre, pour sa part, c’est bien visible, n’y a point mis l’empressement et la netteté qu’elle aurait pu y mettre si elle avait voulu décidément lier partie avec la France, elle a craint de s’engager. Elle n’a certainement pas gagné beaucoup à tout cela ; elle n’a réussi qu’à se débattre pendant quelques mois dans toutes les fluctuations, les versatilités et les contradictions d’une politique sans suite et sans éclat. Elle a eu sa part de mécomptes dans cette singulière campagne égyptienne ; mais l’Angleterre, heureusement pour elle, est une de ces puissances vigoureusement trempées qui sont bientôt debout quand elles le croient nécessaire. La nation anglaise peut se laisser abuser par de faux calculs et pousser parfois la prudence jusqu’à l’effacement ; aussitôt qu’elle voit ses vrais, ses grands intérêts engagés, elle n’hésite plus à déployer ses forces, dût-elle être seule à l’action. On peut être assuré qu’en se prêtant à ce que voudra ou décidera la conférence de Constantinople, elle ne laissera en aucun cas compromettre ou interrompre la route de l’Inde. Le bombardement d’Alexandrie n’a point évidemment d’autre sens. Était-il absolument nécessaire dès ce moment ? C’est peut-être douteux. Il reste une démonstration de la puissance anglaise, un avertissement pour toutes les éventualités. Il signifie que l’Angleterre, ne consultant qu’elle-même, est parfaitement décidée pour sa part à en finir avec l’anarchie et la dictature, à rétablir une situation régulière en Égypte, et en cela, elle ne se sépare pas de l’Europe, elle ne fait rien qui ne puisse être accepté par les autres puissances, par la France elle-même, manifestement intéressée à marcher d’intelligence avec l’Angleterre.

Eh ! sans doute, quoi qu’on en dise, quelque soin qu’on mette parfois à réveiller de vieux préjugés ou de mauvais souvenirs, les deux nations ont tout à gagner à être des alliées sincères. L’Angleterre, malgré la facilité avec laquelle elle s’accommode de l’isolement, a pu éprouver en plus d’une circonstance depuis dix ans que, faute de l’alliance française, elle était obligée de subir des événemens qui pesaient