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chambre des communes ; son ancien adversaire, lord Robert Cecil, devenu lord Cranbourne par la mort de son frère aîné, entrait dans le cabinet comme ministre de l’Inde, tandis que le fils de lord Derby et l’héritier de son titre, lord Stanley, prenait les affaires étrangères. Le retour inattendu des conservateurs au pouvoir provoquait un peu d’émotion et surtout beaucoup de curiosité. Quelle allait être l’attitude du cabinet dans les deux questions du moment, la question de la réforme électorale et la question irlandaise ? Contrairement à toutes les prévisions, la première de ces deux questions, qui avait été funeste à tant de cabinets, fut assez heureusement résolue, grâce à la souplesse d’esprit et de caractère du sceptique Disraeli. Les affaires d’Irlande au contraire ne cessèrent de créer des embarras au cabinet et finirent, comme on le verra tout à l’heure, par être la cause déterminante de sa chute.

Après son évasion, Stephens était retourné en Amérique, et de là il avait annoncé que ses compatriotes n’attendraient pas longtemps leur délivrance. Cependant il ne reparut pas en Irlande, du moins sous son nom, et l’on n’entendit plus parler de lui. Sa disparition vraie ou simulée, celle de plusieurs autres chefs de la première heure, n’empêcha pas cependant le mouvement de poursuivre son cours. Dans une association analogue à celle des fenians, les chefs ne manquent jamais : il apparaît à chaque instant des noms nouveaux. C’est ce qui se voyait dans les sectes religieuses du moyen âge et dans celles du XVIe siècle ; c’est ce qui se voit de nos jours chez les nihilistes de Russie ; c’est ce qui se serait vu dans la commune de Paris si elle avait duré. A la suite de l’insuccès de l’expédition en Canada, le fenianisme changea de plan sans changer de but. L’objectif final était toujours une insurrection en Irlande. Toutefois, comme ce pays était l’objet d’une surveillance très active de la part du gouvernement britannique et comme, d’un autre côté, les grandes villes manufacturières ou commerçantes de l’Angleterre contenaient une nombreuse population d’origine irlandaise, les chefs de la conspiration eurent l’idée assez intelligente de provoquer tout d’abord des mouvemens insurrectionnels dans quelques-unes des villes dont il s’agit. Si une seule d’entre elles était tombée entre leurs mains, ils auraient eu une base d’opérations qui avait toujours manqué à leurs prédécesseurs de 1798 et de 1848.

Le 11 février 1869, l’exécution de ce plan fut essayée dans la ville de Chester. Une bande de fenians marcha vers le vieux château que l’on comptait surprendre. On savait qu’on trouverait là un dépôt d’armes assez considérable : on aurait alors coupé le télégraphe, on se serait transporté par chemin de fer au port de Holy Head, situé à peu de distance ; on aurait capturé les navires qui s’y