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trouvaient à l’ancre et l’on aurait fait voile vers l’Irlande. Ce plan ingénieux était malheureusement connu du gouvernement, qui avait naturellement pris la précaution de faire affilier au fenianisme un certain nombre d’agens de la police secrète. Le château de Chester était donc en état de défenses Les fenians se dispersèrent, et la plupart d’entre eux disparurent dans les villages voisins. Il fallut renoncer pour le moment à l’espoir de s’emparer d’une place d’armes en Angleterre. On ne pouvait pas cependant retarder indéfiniment le mouvement insurrectionnel en Irlande. Tout était prêt depuis longtemps. Déjà, le 12 février, le lendemain de l’affaire de Chester, un soulèvement partiel avait éclaté près de Killarney, sous le commandement du capitaine Moriarty, et avait été aisément comprimé par la police et par la troupe. On s’usait dans ces efforts isolés. On décida pour le mois de mars une insurrection générale. C’était une tentative désespérée. Tous les appuis sur lesquels on avait compté faisaient défaut ; Le clergé catholique, avec beaucoup de bon sens, se prononçait énergiquement contre une tentative révolutionnaire qui ne pouvait qu’attirer de nouveaux malheurs sur l’Irlande. Enfin les élémens même semblèrent se tourner contre le fenianisme. Dans les premiers jours de mars, à la veille de la prise d’armes projetée, la neige se mit à tomber avec une abondance et une continuité presque inconnue sous ce doux et tiède climat. Au bout de peu de jours, les collines du Kerry, les fondrières du Connaught, les plaines du Munster, tout fut uniformément recouvert d’un manteau de neige. Dès lors, pas d’abri pour les insurgés, pas de recoin pour se dissimuler après une défaite, pour se grouper en vue d’une attaque. On se battit néanmoins à l’aventure, sans espoir de succès, un peu partout, dans les comtés de Cork, de Kerry, de Limerick, de Tipperary, de Louth. On essaya d’enlever des postes de police ; on se fit tuer quelques hommes, on se fit faire un grand nombre de prisonniers ; on se découragea, on se dispersa, et l’ordre matériel fut rétabli en Irlande. La neige, suivant la pittoresque expression de M. Justin Mac-Carthy, avait été le linceul de l’insurrection.

Alors commença la troisième phase du fenianisme, et la moins glorieuse. La première période avait été celle des vastes projets et des hautes ambitions : c’était le moment où l’on déclarait la guerre à l’Angleterre, où l’on envahissait le Canada en attendant l’heure et la possibilité de débarquer en Irlande. La seconde période, déjà moins brillante, avait été celle du coup de main de Chester et des attaques contre les postes de police. Au début, les fenians avaient été presque des belligérans, puis des insurgés dignes encore de certaines sympathies. Maintenant ils allaient descendre