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lui être ouverts par l’initiative privée ou par l’initiative publique. Nous ne regrettons pas personnellement de l’avoir votée, car elle réalise un progrès ; mais nous craignons que ce progrès ne soit compromis d’avance par une conception incomplète et inexacte de ses conditions et de son objet. C’est surtout quand il s’engage sur un terrain nouveau que l’état doit faire appel aux efforts des particuliers et limiter autant que possible le champ de sa propre action. Réduit à faire des essais, il faut qu’il les fasse dans les conditions les plus propres à en assurer le succès, et il réussira d’autant mieux qu’il concentrera ses créations sur quelques points bien choisis. Nulle part cette réserve ne lui est plus strictement commandée que dans tout ce qui touche aux choses féminines. La nature des femmes répugne beaucoup plus que celle des hommes à l’ingérence toujours un peu brutale de l’état. Il ne fallait donc procéder que pas à pas, par une série d’essais heureusement combinés, à la création de lycées pour les jeunes filles et, quels que dussent être plus tard leur nombre et leur importance, ne pas craindre pour eux, mais au contraire provoquer et encourager la concurrence des institutions libres. Autrement, on risquait, en multipliant les fondations publiques, de ne constituer qu’un enseignement imparfait et médiocre, indigne du beau nom dont on le décorait, inférieur à l’enseignement donné dans quelques-unes de ces institutions privées dont on affectait d’ignorer l’existence. C’est la crainte qu’exprimait, avant la présentation de la loi Camille Sée, une femme d’un esprit élevé, qui s’est fait de l’instruction des jeunes filles une sorte d’apostolat, Mme Coignet[1]. Au lendemain du vote de la loi, le même danger était signalé avec une grande netteté par un publiciste très compétent, M. Dreyfus-Brissac : « Voyez, disait-il, le résultat du système que vous proposez ! Dans l’espoir chimérique défaire une concurrence sérieuse aux couvens, vous préparez la ruine des pensionnats laïques et vous organisez l’enseignement de l’état moins solidement qu’il ne faudrait. Pour attirer les familles, vous mettez à la tête de vos collèges des directrices qui ne seront peut-être pas à la hauteur de leurs fonctions ; au lieu d’un nombre restreint d’écoles fortement constituées, vous faites surgir sur tous les points du territoire une foule d’établissemens qui, la plupart, seront mal dotés et insuffisamment outillés ; enfin vous préconisez le système de l’internat, que vous seriez les premiers à condamner en d’autres circonstances[2]. »

  1. L’Enseignement secondaire des jeunes filles. (Revue politique et littéraire du 19 avril 1879.) — Quelques Mots sur l’enseignement secondaire des jeunes filles. (Même Revue, 1er août 1880.)
  2. Article du journal le Parlement, reproduit par M. Dreyfus-Brissac dans son livre de l’Éducation nouvelle.