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personnage et celui de Phèdre ! n’importe : la discipline cartésienne est si forte que, même dans cette aventure, la passion ne trouble pas l’intelligence, la conscience garde sa force et même tout ce désordre ne fait que l’exercer. Phèdre s’interroge, elle se connaît, elle se juge ; elle rédige son signalement et sa sentence, ou plutôt son portrait, comme on disait au XVIIe siècle, ce portrait qui la condamne, en de beaux discours disposés selon les règles de la Méthode Roxane et Hermione, amoureuses et jalouses comme Phèdre, assez jalouses toutes les deux pour punir de mort l’infidélité de leur amant, ne sont pas cependant assez troublées par cette furieuse jalousie pour perdre l’habitude de l’examen de conscience et du raisonnement. Même après qu’elle a lâché ce cri, qui est bien, cette fois, de la psychologie révélée, —

: Qui te l’a dit ?


Hermione se reprend et elle ajoute à cette expression directe une exposition diserte et bien ordonnée d’elle-même, et comme une leçon de psychologie rétrospective :

: Ah ! fallait-il en croire une amante insensée ?
: Ne devais-tu pas lire au fond de ma pensée ? ..


Mithridate, à qui nous revenons enfin, est cousin ou, si l’on veut, grand-oncle d’Hermione : j’entends qu’il appartient à la famille cartésienne. Mithridate cependant est un despote d’Asie comme le More de Venise un condottiere africain ; mais il porte une âme disposée à la française ; pour un peu, je dirais : dessinée à la Le Nôtre. Amoureux et jaloux, il ne crie pas comme Othello : « Adieu les grandes guerres ! » Tout au contraire, il prépare sa dernière campagne en même temps que son nouveau mariage. Il n’est pas de ces esprits mal distribués, qu’à l’occasion une seule idée possède. Il le dit lui-même expressément :

: D’ailleurs mille desseins partagent mes esprits…


Tantôt l’amour survient sur les talons de la politique, tantôt la politique sur les talons de l’amour, sans que jamais l’un abatte l’autre et prenne décidément sa place ; dans une âme bien ordonnée, chaque sentiment garde sa part. A peine rentré dans ses états, ce roi vaincu et fugitif, — et quel vaincu ! quel fugitif ! Mithridate, le rival le plus redouté de la puissance romaine, — Mithridate fait-il à son ministre le récit de sa guerre malheureuse, de sa défaite et de sa déroute, aussitôt il incline son discours vers un autre objet et, comme, par un passage naturel, il