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achève ce bulletin de chef d’armée, ce message de chef d’état en confidence amoureuse :

: Voilà par quels malheurs poussé dans le Bosphore,
: J’y trouve des malheurs qui m’attendaient encore.
: Toujours du même amour tu me vois enflammé…


Un peu plus loin, dans ce compliment à Monime, l’amour accompagne la politique d’une façon plus curieuse encore :

: C’est pourtant cet amour qui, de tant de retraites,
: Ne me laisse choisir que les lieux où vous êtes.


On n’imagine pas une stratégie plus galante. Plus loin encore, c’est la politique et la stratégie qui viennent, à leur tour, harceler la passion :

: Pharnace, en ce moment, et ma flamme offensée,
: Ne peuvent pas tout seuls occuper ma pensée…


Ainsi s’établit la balance entre les sentimens qui se partagent, selon de justes lois, cette âme française. Ils sont naturellement distincts : elle n’aura pas de peine à les distinguer, lorsqu’elle regardera en elle-même pour les reconnaître et pour les exprimer. Elle y regardera, n’en doutez pas, selon les règles de la Méthode. Elle regrettera le témoignage des autres et n’acceptera pour vrai que ce qu’elle aura trouvé ; elle divisera les difficultés, elle conduira ses pensées sans précipitation et par ordre :

: Non ! ne l’en croyons point, et sans trop nous presser,
: Voyons, examinons. Mais par où commencer ?


Elle s’interrogera et se répondra, elle se reconnaîtra jusqu’en sa fureur, et à cette fureur même :

: Qui suis-je ? Est-ce Monime ? Et suis-je Mithridate ? ..
: Ma colère revient, et je me reconnais.


Comment ne pas délibérer ? Elle se croit libre, puisqu’elle regrette, en examinant sa conduite, de n’avoir pas choisi telle conduite contraire et qu’elle pouvait tenir :

: Ah ! qu’il eût mieux valu, plus sage et plus heureux,
: Et repoussant les traits d’un amour dangereux,
: Ne pas laisser remplir d’ardeurs empoisonnées
: Un cœur déjà glacé par le froid des années !


Se figure-t-on Othello regrettant d’avoir laissé l’amour pénétrer dans ses veines ? La pierre lancée d’une montagne regrettant de se laisser