Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/799

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque disposé qu’on soit à regarder ces fresques comme la peinture d’une sorte de paradis païen, on y trouve à chaque instant des détails qui nous ramènent sur la terre. Dans la tomba del cacciattore, un des personnages qui poursuit des oiseaux avec sa fronde se laisse si bien entraîner par son ardeur qu’il tombe d’une roche élevée dans la mer. Voilà un accident auquel il semble que des immortels ne doivent pas être exposés. On a beau dire que, dans ces temps reculés, on se représentait la vie future comme tout à fait semblable à la vie présente, il est difficile d’admettre que des morts aient pu courir le risque de se tuer[1].

Peut-être est-il plus simple et plus vraisemblable de supposer qu’il ne s’agit pas encore ici du Tartare ou de l’Elysée, mais de la vie future comme se la figuraient tous les peuples primitifs. On sait que cette seconde existence leur paraissait être une suite obscure de la première, le crépuscule après le jour. L’homme continue de vivre dans la tombe, mais d’une vie incertaine, avec des besoins diminués et des passions affaiblies. Pour qu’il ne s’aperçoive pas trop du changement, on lui bâtit sa sépulture à l’image de sa maison. Il y a des tombes, à Corneto, qui sont tout à fait disposées comme des habitations ordinaires, celle qu’on appelle tomba degli scudi se compose de quatre chambres ; l’une est placée au milieu, comme l’atrium chez les Romains, et toutes les autres s’ouvrent sur elle. Dans cette maison, on a grand soin de mettre les objets dont le défunt aimait à se servir ou à se parer ; ses armes, ses bijoux, les tapis, les vases qu’il a payés si cher, afin qu’il les retrouve, s’il en a besoin[2]. C’est, dans la même pensée qu’on décore les murs de sa « demeure éternelle », comme on l’appelle dans les épitaphes, des spectacles qui lui plaisaient quand il était eu vie. On espère que tous ces tableaux de festins, de jeux, de danses, auxquels on croit qu’il est encore sensible, le consoleront de sa longue et triste solitude. La réalité le charmait pendant qu’il était vivant, ou pense que la peinture lui suffira maintenant qu’il n’est plus qu’une ombre. Seulement ces peintures, pour produire leur effet, doivent être fidèles et soignées. C’est pour lui seul qu’elles sont faites, car la tombe, une fois fermée, ne s’ouvre plus guère aux vivans ; qu’importe ? on les

  1. J’ajoute que ces personnages qui dansent ou qui montent à cheval paraissent bien être parfaitement vivans, et que l’artiste a quelquefois écrit leur nom au-dessus de leur portrait.
  2. Dans la Grèce aussi, malgré le progrès des idées, cette première conception de l’autre vie ne s’est jamais effacée. Lorsqu’à Tanagra et ailleurs, on plaçait dans les tombes ces statuettes charmantes qui en sont sorties après tant de siècles et que les amateurs se disputent avec tant d’acharnement, ou voulait sans doute qu’elles tinssent compagnie au mort.